Employé par la première fois en 1872 par le collectionneur et critique Philippe BURTY (1830 – 1890, le terme « japonisme » désigne en histoire de l’art « l’influence qu’a exercé le Japon sur l’art occidental dans la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’au début du XXe siècle ». Une définition qui doit cependant être quelque peu nuancée, le japonisme n’ayant pas tant été initié par le Japon lui-même, que par les amateurs et artistes européens qui commencèrent à s’intéresser aux œuvres japonaises bien avant le début de l’ère Meiji.
 
Les premiers contacts entre le Japon et l’Occident sont attestés dès le milieu du XVIe siècle, lors de l’arrivée de missionnaires jésuites portugais sur l’archipel à partir de 1543, inaugurant ainsi l’époque du commerce Nanban
(« époque du commerce avec les Barbares du Sud »). Lors de l’ère d’Edo (1603-1868), malgré la politique isolationniste (dite sakoku) instaurée par le shōgun TOKUGAWA Iemistu (1641-1854), les échanges entre Japon et Occident ne cessèrent pas totalement : quelques marchands hollandais étaient admis sur le petit îlot artificiel de Dejima dans le port de Nagasaki (illustration de gauche – Isaac Titsingh, « Vue de Dejima dans le port de Nagasaki », dans « Bijzonderheden over Japan », 1824-1825), et assuraient le commerce d’objets d’exportation japonais. Citons aussi ici Philipp Franz von SIEBOLD, médecin et naturaliste allemand qui se fit passer pour un Hollandais et, malgré les doutes de ses hôtes, fut autorisé à séjourner au Japon de 1823 à 1829, d’où il rapporta une très importante collection d’objets japonais en tous genres, collection en partie léguée au Musée de Leiden et considérée, encore de nos jours, comme sans doute la plus importante d’Europe. C’est ainsi que les laques et céramiques nippones connurent un succès certain dans les cours européennes, les restrictions du sakoku ayant pour effet d’encourager davantage la curiosité des collectionneurs pour les productions de l’archipel.
A l’inverse, on sait aussi que quelques manuels, traitant notamment de géométrie et en particulier de la perspective, entrèrent et circulèrent au Japon, influençant partiellement la peinture japonaise, dont celle des estampes ou ukiyoe.
 
Dans les années 1850, la signature de traités commerciaux entre le Japon et plusieurs pays occidentaux suivie de la restauration de Meiji représentèrent un tournant dans l’histoire du japonisme. A Paris, les boutiques spécialisées dans les objets d’importation extrême-orientale se multiplièrent, attirant des amateurs de plus en plus nombreux. Simultanément, de véritables cercles de « japonisants » se constituèrent dans la capitale, réunissant artistes, collectionneurs, hommes de la finance et de l’industrie. Leurs réunions et leurs échanges eurent une importance déterminante dans le phénomène de diffusion et d’assimilation de l’art japonais en France et dans le reste de l’Europe (photo de droite, un avis de réunion).
 
Les expositions internationales de Londres (1862), de Paris (1867, 1878, 1889, 1900), de Philadelphie (1876) de Chicago (1893) et plus tard par l’exposition anglo-japonaise de Londres (1910) permirent au japonisme de s’étendre à un large public, qui put découvrir au cours de ces manifestations l’artisanat nippon, mais aussi son architecture, ses jardins paysagers, ses coutumes et son art de vivre (illustration de gauche : Pavillon du Japon, carte postale, Exposition universelle, 1900, Paris).
 
C’est ainsi qu’à la fin du XIXe siècle, le japonisme passa du rang d’épiphénomène à celui de vague massive, imprégnant en profondeur la plupart des courants majeurs de l’art moderne, de l’impressionnisme à l’Art nouveau, se prolongeant jusqu’à l’Art déco voire même, selon certains historiens, jusqu’aux abstractions d’après-guerre. Touchant aussi bien les arts visuels, dont la peinture et la gravure en premier lieu (photos de droite: CÉZANNE s’inspire du point de vue adopté par Hokusai), que les arts appliqués (joaillerie, textile, céramique, vitrail, ébénisterie, reliure), l’architecture et l’art des jardins, le japonisme est complexe et pluriel. De la même manière qu’il serait réducteur de concevoir l’art japonais – dans toute sa complexité et sa variété – comme une unité stylistique, le japonisme ne peut être résumé à une seule expression. Ce sont ces différentes formes d’expression que nous tenterons d’éclairer à travers de multiples articles (sous réserves) regroupés dans les grands thèmes suivants (cliquez sur les mots en gras et en brun correspondants aux articles déjà publiés) :
 
● Les marchands d’art: HAYASHI Tadamasa, Siegfried BING
 
Les cercles et réunions d’amateurs d’art japonais : la « Société japonaise du Jinglar », les « Dîners de japonisants » organisés par S. BING ou encore ceux de la « Société des Amis de l’art japonais »
 
● Les grands collectionneurs: Raymond KOECHLIN, les frères GONCOURT, Adolphe et Clémence d’ENNERY, Georges CLEMENCEAU, Henri CERNUSCHI, Émile GUIMET
 
● Le japonisme et l’Art nouveau: Émile GALLE, Louis MAJORELLE, Félix BRACQUEMOND et le service ROUSSEAU, Maurice PILLARD VERNEUIL, René LALIQUE
 
● Le japonisme chez les peintres: Giuseppe de NITTIS, VAN GOGH, GAUGUIN, MONET, les Nabis…
 
● Le japonisme dans la gravure et l’estampe: Article introductif, Henri RIVIERE, Henri GUERARD, Prosper-Alphonse ISAAC, Jean-Francis AUBURTIN, Georges Ferdinand BIGOT, l’enseignement de URUSHIBARA Yoshijirō, les graveurs bretons
 
Le japonisme dans le mobilier à la fin du XIXe siècle: Gabriel VIARDOT, la Maison des bambous de PERRET et VIBERT, DUVINAGE et GIROUX, Edouard LIEVRE
 
● Le japonisme dans l’architecture: La Pagode rue de Babylone, les pavillons de thé, d’Albert KAHN, Alexandre MARCEL
 
● Le japonisme dans l’art des jardins: le jardin japonais de MONET à Giverny, le jardin japonais des ROTHSCHILD à Boulogne, Midori no Sato
 
● le japonisme dans les arts de la scène: Théâtre et opéra, Mme Butterfly, Sada Yacco, Hanako.
 
● le japonisme dans la sculpture: « Auguste RODIN »
 
● bonus: le « deuxième japonisme »
 
● bonus 2: Revue de presse ou le Japonisme dans les média: Henri VEVER par Libération, Van GOGH par France Culture
 
 
 
Note.
Les articles constituant notre dossier sur le Japonisme sont écrits principalement par Angélique SAADOUN et, dans une moindre mesure, par Claude YOSHIZAWA, directeur exécutif du Centre culturel franco-japonais de Toulouse.
Diplômée d’un Master d’Histoire de l’art, spécialité Extrême-Orient à Paris-Sorbonne, Angélique SAADOUN prépare actuellement un projet de thèse de doctorat d’Histoire de l’art pour la rentrée 2018. Ayant travaillé sous la direction du professeur Jean-Sébastien CLUZEL, elle a axé ses recherches sur le courant du japonisme, et plus largement sur les échanges culturels et artistiques entre la France et le Japon dans la seconde moitié du XIXe siècle. Son mémoire de première année portait sur l’architecture et le décor de la salle des fêtes japonisante construite en 1896 rue de Babylone à Paris, aujourd’hui connue en tant que cinéma La Pagode. Sa deuxième année de Master, en partie effectuée à Kyōto, fut consacrée à l’étude des collectionneurs d’art japonais en France à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle – partant de l’exemple de la collection d’Émile MORIN et Joseph PLASSARD, anciens propriétaires de La Pagode.
 
 
 
(A.S. & C.Y.)