Jean Francis AUBURTIN (1866-1930) est un peintre et graveur dont le style se situe au croisement de plusieurs courants, dont l’impressionnisme, le synthétisme ou encore le symbolisme.
 
Après avoir reçu un premier apprentissage auprès du peintre Théodore DEVILLY, AUBURTIN (photo de droite, vers 1909) achève sa formation à l’École des beaux-arts de Paris. Lorsqu’il débute sa carrière dans les années 1890, la vie artistique française est déjà bien imprégnée de japonisme, et le goût d’AUBURTIN pour l’orientalisme le conduit naturellement à s’intéresser à la création japonaise. Bien qu’elle soit peu connue, il semble que sa collection ait été assez importante et se soit constituée relativement tôt. Majoritairement composée d’estampes, elle comprenait quelques très belles feuilles telles que « La Vague » et « Les chutes d’eau de Kirifuri sur le mont de Kurokami dans la province de Shimotsuke » de Hokusai (photo de gauche). Le peintre avait également fait l’acquisition de quelques objets afin de meubler sa résidence à Varengeville-sur-Mer (Normandie), construite en 1907 par son frère architecte Jacques Marcel AUBURTIN : kakemono, netsuke, céramiques, bronzes à émaux cloisonnés, quelques armes et un nécessaire à pipe à opium. AUBURTIN s’était aussi procuré un certain nombre de livres et de revues sur l’art japonais, dont les volumes du « Japon artistique » publiés par Siegfried BING.
 
« M. Auburtin avait subi de bonne heure le prestige des arts de l’Extrême-Orient, et commença à collectionner avec passion les œuvres rares qui lui tombaient sous la main : kakémonos, netsukés, et surtout ces merveilleuses porcelaines aux émaux éclatants comme des gemmes, ces grès aux savoureuses coulées. » (FRANTZ Henri, « Les aquarelles de Francis Auburtin », Art et Décoration, octobre 1902, n°49)
 
Nous ignorons la plupart du temps la manière dont ces pièces ont été acquises, faute de livres de compte. AUBURTIN fréquentait les salles de vente, comme en témoigne la présence de catalogues dans sa bibliothèque – notamment celui de l’importante vente Charles FIRMIN GILLOT en février 1904. Membre des « Amis de l’art japonais » – cercle que nous avons déjà mentionné dans un précédent article – il devait également être un habitué des galeries de Siegfried BING et HAYASHI Tadamasa, comme la grande majorité de ses confrères. Il se raconte que le beau-père de l’artiste, le général DELOYE, aurait même été l’un des fournisseurs de BING à l’occasion d’une mission en Extrême-Orient.
 
Les premières années actives d’AUBURTIN sont marquées par sa rencontre avec Pierre PUVIS DE CHAVANNES, qui l’oriente vers la peinture murale : il exécute alors le décor de la salle à manger de la Sorbonne (1895), du grand escalier du Palais de Longchamps – musée des Beaux-Arts de Marseille (1899) ou encore du palais de l’Esplanade des Invalides pour l’Exposition universelle de 1900. Il est probable que dès cette époque, il ait été marqué par l’estampe japonaise, comme le dénotent certaines fresques telle « La pêche au gangui dans le golfe de Marseille » (photo de droite), où l’absence de profondeur, la composition reposant sur des lignes obliques, et les couleurs vives appliquées en aplats sont autant de procédés issus de l’ukiyoe.
 
Les aquarelles réalisées entre 1897 et 1898 témoignent davantage de cette influence. C’est le cas de « Phare du Paon à Bréhat » (photo de gauche), où la spontanéité du tracé à l’encre noire compose un paysage rocheux stylisé, dont la palette chromatique se limite au bleu, rouge et vert ; ou encore de « Calanque des Indiennes, Porquerolles » (photo de droite), dont la ligne d’horizon est audacieusement déplacée vers le haut, à l’exemple du cadrage singulier adopté dans certaines estampes japonaises. A la même époque, AUBURTIN se lance dans une série d’études de la faune (comme ce « Crabe tourteau » à gauche) et de la flore sous-marine en préparation du décor de l’amphithéâtre de zoologie de la Sorbonne – études qui démontrent de manière évidente sa connaissance de la Hokusai-manga (ou manga de Hokusai, à droite), par cette faculté à traduire l’essentiel en quelques coups de pinceaux. Autour de 1900, le peintre s’attache cette fois aux oiseaux, et se rend régulièrement aux volières du Jardin des Plantes pour y effectuer des croquis. Il en tire quelques gouaches tel cet « Aigle » tout en largeur (photo de gauche), adoptant le format étroit des peintures japonaises.
 
Grand voyageur, AUBURTIN quitte la capitale à de nombreuses reprises, qui ce soit pour l’Italie, dans les îles d’Or, Porquerolles, la Bretagne, l’Angleterre, la Corse, les Pyrénées, les Landes ou Annecy. Ces pérégrinations lui donnent le loisir de s’adonner à la peinture de paysage et en particulier de marines, genre dans lequel il excelle. Ses premières œuvres se rattachent au courant impressionniste par l’emploi de la touche fragmentée (« Belle-Ile », 1895, photo de droite) et la démarche sérielle.
 
Il décline ainsi le motif du Pic de Béhorleguy en plusieurs versions selon les heures, la lumière et les conditions climatiques (les deux photos de gauche), comme le fit Claude MONET pour les « Meules » ou la « Cathédrale de Rouen », mais aussi KATSUSHIKA Hokusai avec ses « Trente-six vues du Mont Fuji », dont ces deux vues du célèbre volcan (photos de droites) dans des conditions différentes.
 
A partir des années 1900, AUBURTIN délaisse quelque peu l’huile sur toile au profit de la gouache sur papier, et se rapproche du style synthétique de l’Ecole de Pont-Aven : « Ciel rose sur Cap Myrthe » (photo de gauche) l’illustre par la simplification des formes, l’abolissement des détails au profit des grands aplats de couleurs franches.
 
Mais c’est sans doute à travers son travail sur l’estampe qu’AUBURTIN témoigne le mieux de son admiration pour l’ukiyoe. Le Docteur ANCELET, animateur des dîners des « Amis de l’art japonais », lui commande entre 1906 et 1911 plusieurs cartons d’invitations où l’iconographie, le style et les techniques semblent se réunir en un hommage évident à la gravure japonaise (photo de droite). A cette époque, AUBURTIN adopte d’ailleurs le monogramme à la manière des artistes japonais, composé de la superposition de ses trois initiales. Il suit en cela l’exemple de plusieurs japonisants de la fin du XIXe siècle : Maurice DENIS, Félix VALLOTTON, Henri RIVIERE, Eugène GRASSET, ou encore Théophile Alexandre STEINLEN.
 
Artiste multiple et inclassable, AUBURTIN fait donc partie de ces peintres-graveurs chez qui l’influence japonaise dépasse la simple imitation pour donner lieu à une œuvre originale et singulière. Que ce soit par le biais de la fresque, de l’huile, de l’aquarelle, la gouache ou l’estampe, il a su intégrer la leçon de l’ukiyoe et la retranscrire sur une grande diversité de médiums, en exploitant chaque fois au mieux leurs potentialités plastiques.
 
 
 
Bibliographie
Jean Francis AUBURTIN : « 1866-1930 » (Catalogue d’exposition, Pont-Aven, Musée de Pont-Aven, 20 mars-21 juin 2004), Pont-Aven, Musée de Pont-Aven, 2004.
Jean Francis AUBURTIN, « 1866-1930 – le symboliste de la mer » (Catalogue d’exposition, Mairies des IIIe, IXe et XIVe arrondissements de Paris, 1990), Paris, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris, 1990.
DUROX Cyrielle, RIOU Béatrice, « Le japonisme de Jean Francis Auburtin : 1866-1930 » (catalogue d’exposition, Musée de Morlaix, 27 octobre 2012 – 26 janvier 2013), Le Faouët, Liv’ Editions, 2012.
FRANTZ Henri, « Les aquarelles de Francis Auburtin », Art et Décoration, octobre 1902, n°49, p.27.
 
Images
« Portrait de Jean Francis Auburtin », photographie, vers 1909
KATSUSHIKA Hokusai, « Les chutes d’eau de Kirifuri sur le mont de Kuro-Kami dans la province de Shimotsuke », gravure sur bois en couleur, vers 1833
Jean Francis AUBURTIN, « La pêche au gangui dans le golfe de Marseille », fresque, 1900, Musée des Beaux-Arts, Marseille
Jean Francis AUBURTIN, « Phare du Paon à Bréhat », aquarelle et encore noire sur papier, 1897, collection particulière
Jean Francis AUBURTIN, « Calanque des indiennes, Porquerolles », aquarelle, encre de Chine et crayon gris sur papier, 1898, collection particulière
Jean Francis AUBURTIN, « Crabe tourteau », aquarelle sur papier, 1897, collection particulière
KATSUSHIKA Hokusai, « Planche de la Manga », gravure sur bois, 1814-1878
Jean Francis AUBURTIN, « Aigle », gouache et encore noire sur papier, vers 1900, collection particulière
Jean Francis AUBURTIN, « Belle-Ile », huile sur toile, 1895, collection particulière
Jean Francis AUBURTIN, « Au milieu des nuages. Pic de Béhorléguy », gouache et pastel sur papier, collection particulière
Jean Francis AUBURTIN, « Coucher de soleil. Pic de Béhorléguy », gouache et pastel sur papier, collection particulière
KATSUSHIKA Hokusai, « Le Fuji rouge », série des « Trente-six vues du Mont Fuji », gravure sur bois en couleur, vers 1830-1831
KATSUSHIKA Hokusai, « L’orage sous le sommet », série des « Trente-six vues du Mont Fuji », gravure sur bois en couleur, vers 1830-1831
Jean Francis AUBURTIN, « Ciel rose sur Cap Myrthe », gouache et crayon sur papier, collection particulière
Jean Francis AUBURTIN, « Carton d’invitation pour le dîner du 16 juin 1910 des Amis de l’art japonais », gravure sur bois en couleur, 1910
 
 
 
(A.S.)
 
 
Retour sur la page du sommaire du dossier le Japonisme