Raymond KOECHLIN (1860-1931), journaliste et amateur d’art, appartient à la deuxième génération de collectionneurs, plus tardive que celle des GONCOURT, d’Emile GUIMET ou encore de Claude MONET. Après des études de sciences politiques à Paris, il entre en 1887 au Journal des débats où il dirige le bulletin de politique étrangère jusqu’en 1902. En 1895, à la suite du décès son père Alfred KOECHLIN, grand industriel mulhousien, il hérite d’une importante fortune. Il décide d’arrêter son métier de journaliste afin de se consacrer pleinement à ses actions en faveur de la conservation du patrimoine et à sa collection. Ses goûts assez larges le portent alors aussi bien vers les arts l’Extrême-Orient et de l’Islam, que l’art du Moyen Âge occidental ou les œuvres contemporaines du XIXe siècle.
 
Après s’être dans un premier temps méfié de la vogue du japonisme, une visite de l’exposition d’ukiyoe organisée par Siegfried BING à l’École des beaux-arts en 1890 éveille la passion de KOECHLIN pour l’art nippon ( à gauche,  Etienne Moreau-Nélaton, « Raymond Koechlin », 1887, Paris, musée d’Orsay). Il déclare : « Ce fut le coup de foudre. Pendant deux heures, je m’enthousiasmai devant ces estampes aux brillantes couleurs […]. De ce jour date ma vie de collectionneur. Je lui dois quelques-unes de mes plus grandes joies ». Dès le lendemain, il est introduit par le biais d’un ami commun chez Louis GONSE – autre grand collectionneur et historien d’art – qui lui offre deux estampes et lui propose d’endosser le rôle de guide pour ses futurs achats. Grâce à une lettre de recommandation, il peut avoir accès aux boutiques de Siegfried BING, Florine LANGWEIL et HAYASHI Tadamasa. C’est chez ce dernier qu’il fait sa première acquisition : deux triptyques de Hiroshige achetés pour 150 francs. Par ailleurs, le décès des japonisants de la première génération au début du XXe siècle donne lieu à de multiples ventes aux enchères : celles de la collection des GONCOURT (1897), de HAYASHI Tadamasa (1902-1903), de Charles GILLOT (1904) ou encore de Siegfried BING (1906), auxquelles KOECHLIN se rend pour enrichir son propre fonds.
 
Comme bon nombre de ses contemporains, KOECHLIN achète au départ essentiellement des estampes ukiyoe, mais à la différence des autres collectionneurs, il s’oriente plus particulièrement vers les gravures dites « primitives », datant de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle.
Peu à peu et sur les conseils de HAYASHI, KOECHLIN s’intéresse également à la peinture, aux netsuke, aux laques, aux céramiques et aux poteries du XIIIe au XVIIIe siècle. Au tournant du 1900, sa découverte de l’art religieux – qu’il qualifie de « vrai art », en opposition aux bibelots spécialement produits pour une clientèle occidentale – le mène vers une nouvelle approche (à droite, Statuette de Bouddha, bois sculpté, laqué et doré, Japon, don Raymond Koechlin 1913, Musée des arts décoratifs, Paris). Il déclare à cette époque : « Or, l’art du Japon c’est tout autre chose qu’un art de parasols ou d’éventails bariolés. C’est un art qui a été religieux, puissant, d’une simplicité magnifique » (« L’art japonais », Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse, 1902). KOECHLIN développe alors un discours militant visant à faire entrer l’art japonais dans les musées et à l’envisager sous un angle plus scientifique.
 
Le collectionneur s’implique d’ailleurs très tôt dans la vie des institutions muséales françaises. En 1897, il co-fonde la Société des amis du Louvre ; en 1899, il devient membre du conseil de l’Union Centrale des Arts Décoratifs, puis vice-président à partir de 1911 ; en 1900, il participe à la fondation de la Société franco-japonaise de Paris dont il devient vice-président ; en 1922 enfin, il est élu Président du Conseil des Musées Nationaux, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort.
 
Simultanément, KOECHLIN participe au commissariat de plusieurs expositions, notamment lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900, où il est en charge du pavillon des Arts décoratifs français ; ou encore entre 1909 et 1914, lorsqu’il organise une série de six expositions consacrées à l’estampe japonaise au musée des Arts décoratifs de Paris – dont il rédige la préface des catalogues avec la rigueur et l’érudition d’un historien de l’art. Ce lien entre art japonais et arts décoratifs français, KOECHLIN s’appliquera à le défendre tout au long de sa carrière, enjoignant ses contemporains à chercher dans l’artisanat nippon une source de renouvellement technique et ornemental (à droite:  Bol, grès à couverte, Japon, Karatsu, XVIIe siècle, legs Raymond Koechlin 1933, Musée des arts décoratifs, Paris).
 
En 1930, KOECHLIN fait paraître à tirage limité (deux cent vingt exemplaires destinés à son cercle de proches et d’amis) « Souvenir d’un vieil amateur d’art d’Extrême Orient », témoignage précieux sur le monde des collectionneurs à son époque. La première moitié de l’ouvrage porte sur le japonisme, et la seconde sur la vogue de l’art chinois au début du XXe siècle, qui tend à remplacer ce premier mouvement.
 
Une partie de la collection de Raymond KOECHLIN fut mise en vente en juin 1926 à l’hôtel Drouot, en même temps que celle de son ami journaliste Marcel GUÉRIN sous l’intitulé « Objets d’art du Japon et de la Chine : laques japonais, bronzes et cloisonnés chinois provenant de la collection Raymond Koechlin ; poteries japonaises, netsuke, gardes de sabres, bronzes, provenant des collections Edmond et Marcel Guérin ». L’autre partie de cette collection a heureusement été sauvegardée à la suite de multiples dons, et surtout de son legs en 1931 à différents musées nationaux (dont le musée du Louvre et le musée des Arts décoratifs à Paris), comprenant un important ensemble d’estampes, environ quatre-vingts laques, cent vingt gardes de sabre, une vingtaine de peintures et quelques sculptures.
 
 

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KOECHLIN fut donc l’un des initiateurs de cette deuxième vague de japonisants à la toute fin du XIXe siècle : ayant bénéficié des études parues en France sur l’art nippon, de l’arrivée sur le marché d’objets de nouveaux types ou d’époques jusqu’ici peu représentées, et de la dispersion des collections de leurs aînés, ceux-ci manifestent une vision plus encyclopédique et une curiosité scientifique qui donnera le ton au japonisme du siècle suivant.

 
 

Bibliographie
GUÉRIN Marcel, « Koechlin et sa collection », Paris, Direction des musées nationaux, 1932.
KOECHLIN Raymond, « Souvenirs d’un vieil amateur d’art de l’Extrême-Orient », Châlon-sur-Saône, Imprimerie française et orientale E. Bertrand, 1930.

 
 

Illustrations

 
 


Vase, grès à couverte, Japon, don Raymond Koechlin
1912, Musée des arts décoratifs, Paris

 
 


Masque d’Okame, bois peint, Japon, XVIIe siècle,
don Raymond Koechlin 1902, Musée des arts décoratifs, Paris

 
 


Cha-ire (pot à thé), grès et couvercle en ivoire, Japon, Satsuma,
XVIIe siècle,
legs Raymond Koechlin 1933, Musée des arts décoratifs, Paris

 
 


Kōro (brûle-parfum), grès à couverte et couvercle en métal doré,
Japon, Karatsu, XVIIIe siècle, legs Raymond Koechlin 1933,
Musée des arts décoratifs, Paris

 
 


Chawan (bol pour cérémonie du thé) signé Kenzan, grès à couverte, Japon, Yamashiro,
XVIIIe siècle, legs Raymond Koechlin 1933, Musée des arts décoratifs, Paris

 
 
 
(A.S)
 
 
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