Voici un court article – mais que cette courtesse ne conduise surtout pas le lecteur à minimiser ce qui suit – sur l’un des plus grands et sans doute le plus célèbre des sculpteurs français, Auguste RODIN. Notamment en raison d’une actualité, sous la forme d’une exposition en 2017, qui aura assurément trouvé encore des échos en 2018, lors des diverses commémorations franco-japonaises et, notamment, lors des expositions consacrées à la sculture. Nous parlons évidemment de la grande exposition qui lui a été consacrée au Grand Palais à Paris à l’occasion du centenaire de sa mort.
 
Auguste RODIN, né en 1840 et décédé donc en 1917, fut en effet extrêmement marqué par le mouvement du japonisme qui naquit en France dans la seconde moitié du 19ème siècle et dont furent à l’origine de nombreux peintres impressionnistes (MANET, MONET, VAN GOGH, RENOIR, SISLEY, etc. et jusqu’à TOULOUSE-LAUTREC et PICASSO…) mais aussi des écrivains (dont notamment ZOLA qui, on ne le sait peut-être plus assez de nos jours, fut, de son vivant, aussi célèbre et populaire que Victor HUGO), des critiques d’art, des voyageurs (GUIMET, LABIT, etc). Si cet intérêt pour le Japon débuta chez RODIN dans les années 1880, il fut ensuite directement en liens très étroits avec des Japonais qui influencèrent de façon plus que sensible son œuvre.
 
Parmi eux, citons d’abord INAGAKI Kichizō, un sculpteur et un ébéniste installé à Paris (photo de gauche) qui imprima son style japonais sur les socles et les encadrements des œuvres de RODIN. INAGAKI était né en 1876 dans le département de Niigata, son père était un artisan et un menuisier déjà très connu pour ses sculptures mais aussi dans les domaines de la laque et de l’arrangement floral. Il commença ainsi par des études dans ces spécialités, puis les poursuivit dans les domaines de la sculpture sur pierre et du modelage. Diplômé en 1904, il fut alors attiré par l’étranger et, après être passé par le Chine, il se retrouva en France en 1906. À cette époque, Paris attirait en effet de nombreux artistes japonais désireux de découvrir les arts et techniques d’Occident. Plutôt discret et modeste, INAGAKI resta de son vivant – et aujourd’hui encore – presque totalement inconnu du grand public, mais son indéniable talent fut remarqué par de nombreux artistes de l’époque qui collaborèrent avec lui, ainsi que de nombreux antiquaires ou galeristes, et c’est par l’intermédiaire de l’un d’eux qu’il fit la connaissance d’Auguste RODIN. On dit que, contrairement aux autres ébénistes, INAGAKI Kichizō savait ne pas altérer la sculpture et lui créer un socle pouvant « fusionner » avec celle-ci. La collaboration entre le talentueux sculpteur-ébéniste japonais et le génial sculpteur français est un épisode peu connu mais important des relations artistiques franco-japonaises.
 
Un peu plus connu, mais il est vrai surtout des spécialistes, et surtout bien plus importante pour l’œuvre de RODIN, fut sa rencontre, en 1906 à Marseille, avec la comédienne et danseuse japonaise, de son vrai nom ŌTA Hisa, mais connue sous le nom de Hanako (photo de droite). Une comédienne sans doute oubliée de nos jours en France (et même au Japon, même si elle a inspiré le roman du même nom du grand écrivain MORI Ōgai) , mais qui fut extrêmement célèbre dans toute l’Europe de l’Ouest conquise par le japonisme dans les premières années du 20ème siècle. Après Copenhague au Danemark en 1902, elle triomphera notamment en Allemagne et en Angleterre en interprétant des pièces japonaises telles que « Bushidō » ou encore « Harakiri ».
 
C’est en 1906 que RODIN la découvre à Marseille. On dit que le sculpteur français fut proprement fasciné par la force d’expression de Hanako lorsqu’elle mimait des scènes de suicides et par la puissance physique de son corps, d’autant plus impressionnante qu’elle ne mesurait que… 1,38m ! RODIN, séduit (artistiquement, mais aussi à titre privé et sentimental selon certains qui rappellent l’homme plutôt très porté sur les femmes qu’il fut) par la comédienne japonaise, l’invita alors à poser pour lui. Et si on recense une soixantaine de sculptures en terre, en plâtre puis en bronze la représentant, dont la plus connue est sans doute un masque représentant son visage (photo de gauche), RODIN réalisera aussi de nombreux dessins de cette très étonnante artiste.
 
Leur relation fut semble-t-il parfois très éprouvante, en raison de la très grande exigence professionnelle aussi bien du sculpteur que de son modèle qu’elle fut jusqu’en 1912. « A l’aide d’un miroir, je travaillais l’expression de mon regard avant de poser mais monsieur Rodin n’était jamais satisfait, même lorsque je pensais avoir trouvé cette expression d’agonie qu’il recherchait » aurait dit Hanako.
De son coté, le sculpteur est proprement fasciné, il aime tout particulièrement la dessiner nue. « Elle n’a point du tout de graisse. Ses muscles sont découpés et saillants comme ceux des petits chiens qu’on nomme fox-terriers (…) Elle est tellement robuste qu’elle peut rester aussi longtemps qu’elle le veut sur une seule jambe en levant l’autre devant elle à angle droit », aurait dit RODIN qui nous a laissé toute une série de dessins (principalement conservés aujourd’hui dans son musée parisien) dans lesquelles l’artiste saisissait au vol les attitudes incroyables que savait prendre Hanako (illustration de droite).
 
Ainsi, si entre le 22 mars et le 31 juillet 2017, l’exposition parisienne pour le centenaire de la mort de RODIN aura constitué l’un des plus grands événements artistiques et culturels de cette année 2017, 2018 et ses commémorations franco-japonaises est aussi, sous une forme ou sous une autre, l’occasion de découvrir ou de redécouvrir le grand intérêt pour le Japon et la grande influence de ce dernier sur l’auteur des inoubliables et sublimes « Penseur », « Baiser », « Balzac » et autre « Porte de l’Enfer »… !
 
 
 
(C.Y.)