Originaire de Calais, Prosper-Alphonse ISAAC (1858-1924) est né dans une famille bourgeoise d’industriels de la dentelle. Son père Augustin ISAAC (1810-1869), collectionneur et sculpteur amateur, lui transmit son goût pour les arts – notamment extrême-orientaux. A la fin des années 1870, Prosper-Alphonse ISAAC quitte sa région natale pour se former à Paris auprès du peintre Jean-Paul LAURENS.
 
Le japonisme était alors en phase de gagner pleinement la capitale, et le jeune ISAAC put visiter les nombreuses expositions dédiées aux arts nippons comme en témoigne Gaston MIGEON : « A Paris, son goût raffiné de décorateur avait été frappé de la beauté nouvellement révélée de l’estampe japonaise. Il avait visité l’exposition qu’en avait faite Louis GONSE à la galerie Georges Petit. Jamais je n’oublierai l’enthousiasme avec lequel il faisait des adeptes nouveaux à l’occasion de la magnifique exposition qu’en fit S. BING en 1889 à la grande Galerie de l’Ecole des Beaux-Arts » (Gaston MIGEON, Collection de Monsieur P. A. Isaac, objets d’art du Japon, estampes et livres des principaux maîtres de l’ukiyoyé […], 1925)
 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Kogo de la collection Georges Clemenceau »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 
C’est ainsi qu’ISAAC débute sa collection d’art japonais au cours des années 1880, fréquentant presque quotidiennement les magasins de Siegfried BING et HAYASHI Tadamasa. A partir des années 1900, il se met également à fréquenter la salle des ventes de l’Hôtel Drouot. Il constitue ainsi en quelques années une importante collection de plus d’un millier d’objets : étoffes, poupées, bronzes, peintures, et surtout de livres illustrés et estampes ukiyoe de toutes les époques et tous les styles.
 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Carton d’invitation pour Les Amis de l’art Japonais.
Dîner le mardi 18 janvier 1910 »
, gravure sur bois à la manière japonaise

 
 
ISAAC s’intègre véritable au milieu des japonisants de la capitale au début des années 1890, lors de la fondation de la « Société des amis de l’art Japonais » par Siegfried BING. Il participe au premier dîner mensuel de la Société le 12 mars 1892, et n’en manqua pas un seul jusqu’en 1910. Aux côtés d’une quinzaine d’autres graveurs japonisants, il est l’auteur de plusieurs cartons d’invitation entre 1906 et 1914 – huit estampes originales et cinq estampes d’après des œuvres japonaises (Hiroshige, Masayoshi et Kōrin) – et l’imprimeur d’une quinzaine de cartons. Variées, les estampes originales d’ISAAC représentent aussi bien des compositions végétales que des animaux, ou encore des objets japonais.
 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Carton d’invitation pour Les Amis de l’art Japonais.
Dîner le mardi 14 janvier 1913 », gravure sur bois à la manière japonaise

 
 
Avec les membres de la « Société des amis de l’art Japonais », il participe à la fondation de la « Société Franco-Japonaise de Paris » à l’issue de l’Exposition universelle de 1900, et en est élu membre à vie. Il réalise pour cette nouvelle société deux menus ainsi que le grand diplôme délivré à l’ensemble des adhérents. Alliant volontairement symboles français et japonais, ce dernier est orné d’un coq chantant dans un champs de bleuets et de coquelicots, surplombé par le Mont Fuji et un soleil levant.
 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Grand diplôme de la Société
Franco-Japonaise de Paris », gravure sur bois à la manière japonaise
 
 

Les étoffes teintes
 
Après avoir débuté comme peintre, ISAAC oriente sa carrière vers la décoration et en particulier le textile. Son goût pour l’art nippon le conduit à s’intéresser aux procédés de teinture des étoffes, qu’il produit dès le milieu des années 1890 dans son propre atelier. Il en acquiert apparemment les techniques de manière empirique, après un certain nombre d’essais, employant aussi bien l’impression au pochoir qu’un procédé inventé par ses soins, et consistant à « graver » les motifs directement dans le tissu. Soulignons qu’à l’époque, les pochoirs japonais (katagami) étaient vendus dans la plupart des boutiques de curiosité et collectionnés par de nombreux amateurs, dont ISAAC.
 
 

Intérieur de la galerie l’Art nouveau de BING, décor mural et rideaux par ISAAC
(chardons et feuilles d’érables du Japon)

 
 
Encouragé par Siegfried BING, il se lance dans la production de quantité d’étoffes, tentures, rideaux, paravents, fauteuils, nappes, dessus de lit, éventails, sacs à main, qui sont exposés avec succès entre 1895 à 1897 au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts et au Salon de la Rose-Croix à Paris, à Liège ou encore à Dresde. Également représenté par la galerie « L’Art nouveau » de BING, ISAAC contribue ainsi à répandre un goût moderne dans l’habillement et la décoration au début du siècle. Peu après la mort de BING, il décide pourtant d’abandonner la décoration textile pour se consacrer pleinement à la gravure.

 
 
La gravure
 

Les premières gravures connues d’ISAAC datent de 1900, lorsqu’il s’essaye à la pointe sèche et à l’aquatinte, et représentent pour la plupart des paysages hollandais et vénitiens.

 
La transition vers l’estampe à la manière japonaise débute plus tard, notamment avec ses essais de gravures sur albâtre en couleurs, où il accentue le trait de contour noir et traite les couleurs en larges aplats sur le modèle des ukiyoe. Ces estampes correspondent à la première utilisation par ISAAC du monogramme à l’encre de Chine rouge ou noir, sous deux formes différentes : un « I fleuri » ou son nom en toutes lettres.
 
 



Prosper-Alphonse ISAAC, « Gondoles à Venise »,
gravure sur albâtre, non datée

 
 
 
A partir de 1905, ISAAC s’essaie à la gravure sur bois en couleurs, qui deviendra son médium privilégié jusqu’à sa mort en 1924. Ses débuts sont incertains : il commence par imprimer des estampes en noir et blanc, qu’il colorise ensuite une à une au pinceau (voir ci-dessous, « Composition, jouets et pavots dans un vase »).  En 1908, au cours de l’exposition anglo-japonaise de Londres, il fait la connaissance de de URUSHIBARA Yoshijirō, jeune artiste de 19 ans. Travaillant au service de la célèbre imprimerie Shimbi Shoin de Tokyo, ce dernier avait été embauché comme « démonstrateur » de la technique japonaise de gravure sur bois. Enthousiasmé par cette rencontre, ISAAC lui propose de s’associer à lui et de le suivre à Paris pour lui enseigner personnellement son savoir-faire. Ils produisent un certain nombre de gravures à quatre mains, signées de leurs deux monogrammes. Il collabora à la même époque avec d’autres graveurs japonais, dont NOGUCHI Shunbi.
 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Composition, jouets et pavots dans un vase »,
gravure sur bois en noir et blanc colorée à la main, 1906

 
 


URUSHIBARA Yoshijrō et Prosper-Alphonse ISAAC, « Outils de graveur sur cuivre »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 

NOGUCHI Shunbi et Prosper-Alphonse ISAAC, « Canard »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 
A force de pratique, ISAAC atteint bientôt un niveau technique qui lui assure la réputation de spécialiste de la gravure sur bois à la manière japonaise. Il forme à son tour plusieurs graveurs et dessinateurs (dont Jules CHADEL et Georges GEO-FOURRIER), et publie en mai 1913 le premier traité sur le sujet dans la revue « Art et Décoration ».

 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Marais de Saint-Omer »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 

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Quelque peu tombé dans l’oubli après sa mort en raison de sa discrétion, Prosper-Alphonse ISAAC a pourtant joué un rôle de premier ordre dans le processus de connaissance et de démocratisation de l’art japonais. Par ses dons réguliers, il participa à l’introduction de collections d’objets et d’estampes ukiyoe au sein des institutions françaises, notamment le Musée du Louvre, le Musée des Arts décoratifs et la Bibliothèque nationale de France. En outre, à une époque où les savoirs sur les techniques de la gravure sur bois en couleurs japonaise demeuraient au stade élémentaire, il s’impliqua personnellement afin de mettre ses recherches et expérimentations au service du plus grand nombre.
 
 


Prosper-Alphonse ISAAC, « Les Capucins à Montfort l’Amaury »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 
 
Bibliographie
 
– ISAAC Prosper-Alphonse, « La gravure sur bois à la manière japonaise », Art et Décoration, mai 1913.
– LE STUM Philippe, « Impressions bretonnes : la gravure sur bois en Bretagne, 1850 -1950 » (catalogue d’exposition, Quimper, Musée départemental breton, 17 juin – 2 octobre 2005), Quimper, Editions Palantines, 2005.
– VABRE Émilie, « Prosper-Alphonse Isaac (1858-1924) : entre régionalisme et japonisme », Mémoire de Master d’histoire de l’art sous la direction d’Emmanuel Pernoud, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2010.
– VABRE Émilie, « Prosper-Alphonse Isaac, graveur sur bois à la manière japonaise », Nouvelles de l’estampe, n°237, hiver 2011-2012.
 
 
 

Images supplémentaires

 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Poisson et branche fleurie »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Hollande »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Deux chats »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Chat blanc sur fond bleu micacé »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 

Prosper-Alphonse ISAAC, « Passage de la visitation »,
gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912

 
 
 
(A.S.)
 
 
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