(Fondation Custodia – 6 octobre 2018 au 6 janvier 2019)
 
Dans le cadre de la manifestation « Japonismes 2018 », la Fondation Custodia présente l’exposition « Vagues de renouveau » consacrée aux estampes japonaises produites dans la première moitié du XXe siècle. Plus de 200 œuvres issues de la collection Elise WESSELS ont été spécialement prêtées par le musée Nihon no hanga d’Amsterdam.
 
Présentons tout d’abord la Fondation Custodia, peu connue du grand public. Celle-ci est née en 1947 à l’instigation de Frits LUG et de son épouse To LUG, qui souhaitaient créer un lieu dédié à leur importante collection d’estampes, de dessins et de lettres d’artistes. Ils choisirent l’hôtel Turgot dans le VIIe arrondissement parisien, un hôtel particulier datant du XVIIIe siècle. Depuis peu, l’hôtel Lévis-Mirepoix qui lui fait face accueille au quatrième étage l’importante bibliothèque de la Fondation, comprenant un fonds d’environ 130 000 volumes spécialisés en histoire de l’art. La Fondation Custodia organise chaque année plusieurs expositions, consacrées non seulement au dessin et à l’estampe mais aussi à d’autres médiums artistiques : citons par exemple « Du dessin au tableau au siècle de Rembrandt » qui s’est tenue de février à mai 2017, ou encore « Portraits en miniatures » de janvier à avril 2018.
 
Inaugurée le 6 octobre, l’exposition « Vagues de renouveau » qui se tient actuellement en ses murs permet d’illustrer la révolution que connut la pratique de la gravure sur bois au Japon au cours du XXe siècle, à la suite des bouleversements sociétaux et culturels qu’avait engendré l’avènement de l’ère Meiji.
 
Depuis l’ouverture de l’archipel aux échanges avec l’Occident au milieu du XIXe siècle, un nombre croissant de graveurs japonais s’étaient rendus en Europe ou aux Etats-Unis pour compléter leur formation. Ils y avaient découvert une autre approche de leur discipline, les conduisant à se questionner sur le rôle de l’artiste dans le processus de création des estampes.
 
Par ailleurs, le Japon de Meiji n’avait plus grand-chose à voir avec celui de l’ère passée. Certains des genres traditionnels de la gravure (quartier des plaisirs d’Edo, portraits d’acteurs de théâtre, scènes de combats entre samouraïs) apparaissaient désormais comme archaïques, tandis que les villes modernes et la révolution industrielle offraient aux artistes une multitude de sujets neufs.
 
C’est ainsi que sous l’effet de la modernisation et de l’occidentalisation, de nouvelles problématiques se posaient pour les gaveurs, tant en termes d’iconographie que de style pictural ou de procédés techniques. Pour y répondre, deux grands courants apparurent : le shin hanga (« nouvelle estampe ») et le sōsaku hanga (« estampe créative »). Le premier est né sous l’impulsion de l’éditeur WATANABE Shōzaburō (1885-1962), désireux de réunir autour de lui des artistes capables de renouveler la tradition de l’estampe tout en maintenant la hiérarchie et la répartition des tâches entre le dessinateur, le graveur, l’imprimeur et l’éditeur. Le second mouvement à l’inverse, guidé par l’exemple occidental, prône une maîtrise de toutes les étapes de la création par l’artiste, afin que l’œuvre exprime au mieux la personnalité de son auteur. L’exposition proposée par la Fondation Custodia s’applique précisément à établir un dialogue entre ces deux mouvements, en présentant côte à côte des artistes-graveurs rattachés à chacune de ces grandes tendances.
 
Le choix des commissaires s’est porté sur une division thématique du parcours, chacun des genres de l’estampe traditionnelle étant représenté : paysages (fūkeiga), fleurs et oiseaux (kachōga), portraits de belles femmes (bijinga) ou encore portraits d’acteurs (yakusha-e). Au sein de ces grandes sections s’intègrent des sujets plus contemporains, portés le plus souvent pas les représentants du sōsaku hanga, tels les autoportraits ou portraits masculins (à gauche, SEKINO Junichirō, Lafcadio HEARN en kimono, vers 1953, version du Smith College Museum of Art), les scènes de la vie quotidienne, les fêtes populaires, les loisirs modernes (à droite, KAWAKAMI Sumio, Le Casino Folies au parc d’Asakusa, série « Cent vues du nouveau Tokyo », 1930).
 
Le genre fūkeiga – qui reste le plus pratiqué au Japon dans la première moitié du XXe siècle – englobe aussi bien les paysages naturels que les vues urbaines. Ces dernières, largement représentées par le sōsaku hanga, tentent de traduire la modernité des grandes villes japonaises au début du XXe siècle : Le sixième district d’Asakusa (1930, série « Cent vues du nouveau Tokyo ») de SUWA Kanenori représente ainsi un quartier populaire de Tōkyō célèbre pour ses nombreuses salles de spectacle, dans un style qui se veut novateur (à gauche).
 
Nombre de graveurs rattachés au shin hanga s’essayèrent également aux vues citadines, comme en témoigne la série des « Vingt vues de Tokyo » de KAWASE Hasui, où l’on aperçoit à plusieurs reprises le fameux Nihonbashi, construit en 1911 dans un style néoclassique (à droite, Nihonbashi, 1940). En réaction, certains artistes manifestèrent une forme de nostalgie pour le Japon rural d’avant l’ère Meiji (à gauche, AKAMATSU Rinsaku, Sumiyoshi, série « Vues de lieux célèbres à Osaka et Kobe », 1917), jusqu’à parfois dépeindre une nature où toute trace humaine semble avoir été effacée (à droite, SAKAMOTO Hanjirō, Vue du port de Kami, Genkainada, série « Estampes de paysages japonais », 1918).
 
Les estampes de bijinga (« belles femmes ») sont peut-être celles qui illustrent de la manière la plus frappante l’occidentalisation de la société japonaise au cours de l’ère Meiji. A côté des portraits conventionnels de courtisanes perpétués par le courant shin hanga (à gauche, ITŌ Shinsui, Courtisane, 1916), apparaît la représentation des moga (« femmes modernes »), qui tranchent avec leurs aînées par leurs postures dynamiques et leurs tenues légères à la mode des années folles (à droite, KOBAYAKAWA Kiyoshi, Danseuse, 1932).
Pour les graveurs des deux courants, le genre bijinga permettait en outre de se confronter à la tradition européenne du nu féminin. C’est ainsi que ONCHI Kōshirō, l’une des plus importantes figures du sōsaku hanga, signe une série intitulée « Huit femmes des temps modernes » (1929-1935) représentant des femmes dans leur intimité, le plus souvent à leur toilette (à droite,  Après le bain, 1934).
 
A noter qu’une salle entière est dédiée à l’artiste YAMAMOTO Kanae (1882-1946), souvent considéré comme le pionnier du sōsaku hanga, et faisant le lien entre le Japon et la France. Après une première formation artistique à Tōkyō, il s’installa à Paris en 1912 pour y apprendre la gravure sur cuivre à l’Ecole des Beaux-Arts. Au cours de l’été 1913, il passa plusieurs semaines en Bretagne en compagnie d’autres artistes japonais. Ce séjour lui inspira de nombreuses estampes, essentiellement des paysages (à droite, Crique en Bretagne, 1913), mais aussi des portraits (à gauche, Bretonne, 1920).
 

Au terme de l’exposition, il apparaît que les frontières entre shin hanga et sōsaku hanga sont souvent floues. Plusieurs graveurs (TAKEDA Takeo, ou encore ODA Kazuma signant ici, à gauche, Le grand pont de Matsue en 1924 pour l’éditeur de shin hanga WATANABE), polyvalents, travaillèrent pour des revues rattachées aux deux mouvements, adaptant leur style aux commandes qui leur étaient adressées. D’autre part, certaines estampes a priori marquées par l’influence occidentale furent exécutées à plusieurs mains, et non par un seul artiste comme le prône l’école sōsaku hanga. C’est le cas par exemple de UMEHARA Ryūzaburō et YASUI Sōtarō, ou encore ONCHI Kōshirō qui déléguait l’étape de l’impression à son élève SEKINO Junichirō (à droite, Portrait de HAGIWARA Sakutarō, 1943).
 
 

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Avec cette exposition, la Fondation Custodia fait donc le pari d’attirer un public peu familier avec cette période de l’estampe japonaise, mal connue et représentée en France. Une ambition qui transparaît également à travers la diversité des thématiques abordées et des artistes exposés. Saluons enfin l’accent mis sur la dimension pédagogique, un fascicule détaillé sur les œuvres présentées étant distribué à chaque visiteur, et le parcours s’achevant par une vidéo sur les techniques de l’estampe sur bois en couleurs japonaise.
 
 
Bibliographie
– Vagues de renouveau : Estampes japonaises modernes 1900-1960 (Catalogue d’exposition, Paris, Fondation Custodia, 6 octobre 2018 – 6 janvier 2019), Paris, Fondation Custodia , 2018)
 
 
Site internet de l’exposition
Exposition de la Fondation Custodia
https://www.fondationcustodia.fr/Vagues-de-renouveau-122
Collection du musée Nihon no hanga
http://www.nihon-no-hanga.nl/collection

 
 
 
Images additionnelles

 
 

ONCHI Kōshirō, Le plongeon,
gravure sur bois en couleurs, 1932, Collection Elise Wessels
 
 
KOMURA Settai, Matin sous la neige,
gravure sur bois en couleurs, 1941, Collection Elise Wessels
 
 
HASHIGUCHI Goyō, Femme peignant ses cheveux,
gravure sur bois en couleurs, 1920, Collection Elise Wessels
 
 

KAWASE Hasui, L’assaut,
gravure sur bois en couleurs, 1937, Collection Elise Wessels
 
 
YOSHIDA Hiroshi, La porte d’Ajmer, Jaipur,
gravure sur bois en couleurs, 1931, Collection Elise Wessels

 
 
 

(A.S.)