Avant-propos
Angélique SAADOUN, notre rédactrice experte en « Japonisme », a visité « l’Exposition Foujita » proposée par le Musée Maillol du 7 mars au 15 juillet 2018. Non inscrite au programme de « Japonismes 2018 », et pour cause, cette exposition n’en est pas moins l’un des temps forts des commémorations prévues cette année en France et qui célèbrent l’amitié franco-japonaise. Né Japonais et naturalisé Français, FUJITA Tsuguharu devenu Léonard FOUJITA est sans doute le peintre – ou du moins l’un des peintres – qui illustre le mieux cette passion réciproque entre la France et le Japon.
En témoigne également le jumelage entre les villes de Nagoya et de Reims, un rapprochement duquel le peintre n’est pas étranger.
Suite à sa visite, Angélique vous propose cet article « hors-série » de notre grand dossier sur le Japonisme, un compte-rendu grâce auquel vous pourrez faire également mieux connaissance avec FOUJITA, sa vie, son oeuvre. Par ailleurs, toutes les illustrations de cet article représentent des oeuvres proposées par l’exposition du musée Maillol, excepté les 2 photographies du peintre réalisées par André KERTESZ.
(C.Y.)
Exposition Foujita : peindre dans les années folles
Musée Maillol – 7 mars au 15 juillet 2018
A l’occasion des 50 ans de la mort du peintre Léonard Tsuguharu FOUJITA, le Musée Maillol présente une exposition consacrée au premier séjour parisien de l’artiste japonais, entre les années 1913 et 1931. Plus d’une centaine d’œuvres issues de collections publiques et privées japonaises, américaines et européennes sont ainsi réunies en 11 sections réparties dans les espaces du musée. Le choix de se concentrer sur deux décennies permet de restituer l’atmosphère des années folles, l’effervescence artistique régnant à Montparnasse où se réunissaient les peintres et sculpteurs de ce que l’on appellera l’Ecole de Paris, dont firent partie FOUJITA mais aussi MODIGLIANI, ZADKINE, SOUTINE, UTRILLO ou encore PICASSO.
Né le 27 novembre 1886 à Tōkyō, FOUJITA grandit une famille de rang élevé, d’un père général et médecin de l’Armée impériale. L’ère Meiji a alors débuté depuis près d’une vingtaine d’années, et le jeune FOUJITA bénéficie d’un contexte en faveur de l’ouverture sur l’Occident. Il apprend ainsi le français dès l’école primaire, et sa découverte précoce de la peinture européenne le détermine dans les années 1900 à s’engager dans la voie artistique. En 1905, il intègre les Beaux-Arts de Tōkyō et y choisit la section yōga (peinture de style occidental) dirigée par KURODA Seiki, pionnier de ce courant.
« Enfants jouant », huile sur toile, 1924
Le 6 août 1913, trois ans après l’obtention de son diplôme, FOUJITA s’installe à Paris dans l’atelier du peintre KAWASHIMA Riishirō au 14 cité Falguière, qui accueille déjà MODIGLIANI et SOUTINE. La capitale française est encore imprégnée par près d’un demi-siècle de japonisme, et FOUJITA profite de l’aura exotique que lui confère sa nationalité. Ses premières œuvres sont d’ailleurs marquées par une tentative de syncrétisme entre traditions japonaises et influences européennes – qu’il s’agisse des peintres de la Renaissance italienne qu’il admire au Louvre, de sa découverte des œuvres naïves du Douanier ROUSSEAU, ou de ses échanges avec la bande de Montparnasse. Michel-G. VAUCAIRE écrit ainsi : « Il n’y a pas beaucoup d’artistes qui soient parvenus à une situation aussi étonnante : passer pour un peintre francisé aux yeux des Japonais pour un pur Japonais vis-à-vis des Occidentaux ».
« Baiser de l’oiseau », aquarelle sur papier, 1917
Encouragé par Fernande BARREY, peintre et modèle qui devient sa compagne, FOUJITA décide de réunir une centaine d’aquarelles pour sa première exposition en 1917 à la galerie Chéron. L’évènement rencontre un grand succès, et les œuvres sont saluées par PICASSO lui-même. Ces aquarelles témoignent de l’amitié qui unit FOUJITA et MODIGLIANI et de leur attrait commun pour les arts premiers, surtout à travers le traitement de la figure féminine.
En 1919, FOUJITA renouvelle sa collaboration avec la galerie Chéron avec une proposition originale et inattendue : un ensemble de peintures religieuses intitulées Compositions mystiques, Ces représentations de Vierge à l’Enfant et de Crucifixions permettent à l’artiste – qui se convertira au catholicisme en 1959 – de transcrire sur la toile ses questionnements spirituels.
« Crucifixion », encre de Chine,
gouache et feuille d’or, 1920
Une section entière du musée est consacrée au « personnage » incarné par FOUJITA, qui comprit très vite l’importance de se façonner une image publique forte. En effet, le peintre ne refusait jamais une occasion de mettre en scène, que ce soit au cours de bals et spectacles, ou à l’occasion de séances de photographie, comme celle que lui consacre André KERTESZ en 1925 dans son atelier. L’exercice de l’autoportrait, auquel s’adonne régulièrement FOUJITA, participe également à la construction du « mythe de l’artiste ». Il y figure toujours avec ses fameux attributs (coupe au bol, fine moustache, lunettes rondes cerclées et boucles d’oreilles), souvent accompagné de son chat Miké, animal totem symbolisant « l’âme insoumise » du peintre.
« Autoportrait au chat »,
huile et gouache sur toile, 1928
Amoureux des chats, FOUJITA l’était aussi des femmes, comme en atteste la salle suivante dédiée aux nus féminins. C’est sans doute avec cette thématique qu’il parvient à la pleine affirmation de son style pictural, caractérisé par un fond blanc à la céruse sur lequel se détache un trait fin à l’encre noire, à peine modelé par de légères ombres. Parmi ses muses et modèles figurent Kiki de Montparnasse, Mado ANSPACH, Lucy KROHG, Marie VASSILIEFF et surtout sa nouvelle compagne Lucie BADOUD dit Youki.
« Nu au chat », huile sur toile, 1927
Autre genre dans lequel excelle FOUJITA : les portraits d’enfants, qui allient innocence et gravité, et dont le regard profond est déjà emprunt de la maturité que l’on prête aux adultes. Jean COCTEAU écrit ainsi à leur propos : « Comme Lewis Caroll, il semble que Foujita cherche dans le monde enfantin les reflets qui meuvent les grandes personnes ».
« Les deux petites amies »,
huile sur toile, 1918
Au descendant au rez-de-chaussée, le visiteur aura accès à l’une des révélations de cette exposition, à savoir deux diptyques décoratifs exécutés en 1928, initialement destinés à la Maison du Japon de la Cité internationale universitaire de Paris : Combats I et II et Compositions au lion et au chien. Abordant pour la première fois le format monumental, FOUJITA se souvient des grands cycles de la Renaissance découverts en Italie, au premier rang desquels le Jugement dernier de Michel-Ange, et imagine une composition où les nus académiques emplissent tout l’espace jusqu’à désorienter l’œil du spectateur.
« Combats I et II », huile sur toile, 1928
Clou du spectacle, cette salle est suivie d’une dernière section plus intimiste sur l’atelier de l’artiste, ses outils de travail et ses bibelots fétiches (poupées japonaises, chiens en faïence, pipe, accordéon), qui figurent dans certaines de ses œuvres comme autant d’objets symboliques. Ils permettent d’opérer un lien avec le courant Art Déco, qui gagne les intérieurs des années 1920-1930 et auquel FOUJITA adhère immédiatement. Artiste aux multiples talents, il va même jusqu’à concevoir un certain nombre de meubles et objets dans ce style : tables basses pour la Compagne générale transatlantique, plaques décoratives en pierre de « lap », éventail aux deux chats.
Léonard FOUJITA et Jules LELEU, Table basse carrée dite « table à jeux » ou « table du fumeur »,
acajou blond et marqueterie de bois précieux avec incrustation de nacre, vers 1930
L’exposition se termine au début des années 1930, alors que la bulle économique d’après-guerre vient d’éclater et que le marché de l’art se porte mal. Préoccupé par ces problèmes matériels, FOUJITA décide de quitter la France pour Rio de Janeiro le 31 octobre 1931 avec Madeleine LEQUEUX, une jeune danseuse qu’il a récemment rencontrée, laissant derrière lui son épouse Youki et toutes les œuvres conservées dans son atelier. Cette fuite sera pour FOUJITA l’occasion d’entamer une nouvelle période artistique marquée par sa découverte des cultures amérindiennes, et ce jusqu’à son retour définitif en France en 1950. Décédé le 29 janvier 1968 à Zurich, il sera inhumé dans la chapelle Foujita à Reims.
Images supplémentaires
« La Danse », aquarelle et encre de Chine sur papier, 1917
André KERTESZ, « Foujita au chat », photographie, 1928
André KERTESZ, « Foujita dans son atelier », photographie, 1928
« Les deux amies (Suzy Solidor et Yvonne de Brémond d’Ars) »,
encre de Chine sur papier, 1930
Vue de l’exposition : « Combats I et Compositions au lion et au chien »,
huile sur toile, 1928
(A.S.)