Nous avons eu l’occasion de faire allusion au comte Charles Ferdinand Camille Ghislain DESCANTONS de MONTBLANC dans une autre page dédiée à l’Exposition Universelle de 1867.
 
Voici comment la page Wikipédia qui lui est consacrée le présente :
 
« Charles Descantons de Montblanc (Paris, 12 mai 1833-Paris, 22 janvier 1894), est un diplomate français.
 
Biographie.
 
Aristocrate, il obtient dès 1854 un poste officiel aux Philippines. En août 1858, il se rend au Japon avec la mission du baron Gros, apprend rapidement le japonais et devient l’ami de Saitô Kenjirô, un homme qui va l’accompagner dans son exploration de Kyushu. Il visite alors Kagoshima et revient en Europe en 1861.
Le 14 septembre 1865, il accueille la mission japonaise de Ikeda Nagaoki du clan de Satsuma et dès le 23 septembre, entreprend un contrat d’entente entre la Belgique et le Satsuma. Il suggère alors la participation du clan à l’Exposition universelle de 1867. Nommé commissaire de l’Exposition par le représentant du clan, il obtient que les armoiries des Satsuma soient apposées aux côtés de celles de Tokugawa à l’entrée du pavillon du Japon.
En octobre 1867, le prince de Satsuma l’invite au Japon. Il devient alors le premier diplomate accrédité par l’Empereur du Japon et rentre en France à la fin de décembre 1869.
 
Œuvres.
 
On lui doit de nombreux articles dans le Bulletin de la Société des Études japonaises, ainsi que :
– Le Japon, Claye, 1865
– Le Japon, ses institutions, ses produits, ses relations avec l’Europe, 1867  »
 
 
C’est déjà bien… mais c’est bien court pour connaître non seulement ce que fut ce diplomate français mais surtout ce que fut son analyse du Japon à un moment clef de son histoire, c’est-à-dire durant le bakumatsu qui annonçait la Restauration de Meiji. Et comprendre ce que furent les relations franco-japonaises à cette époque.
 
En effet, il existe une retranscription écrite d’un discours que le comte de MONTBLANC prononça le 15 décembre 1866 lors d’une assemblée générale de la « Société de Géographie », un discours intitulé : « Considérations Générales sur l’état actuel du Japon ». Et ce discours, même s’il reste effectivement d’une relative généralité, permet néanmoins de bien mieux comprendre cela.
 
Sur la mentalité japonaise de l’époque, et tout d’abord, par comparaison à la Chine :
« Au premier abord, on est tenté de rapprocher moralement les Japonais des Chinois. En réalité, les Japonais possèdent une valeur individuelle et sociale qui les distingue profondément de leurs voisins (…) En Chine, le mobile principal des actions est l’intérêt matériel à l’exclusion presque entière des besoins moraux. Au Japon, ce mobile est moral, et si le sentiment d’honneur, qui en est l’expression, prend chez eux une direction souvent fausse, il n’en représente pas moins un des plus nobles besoins de la nature humaine et demeure, pour l’homme qui le possède, un stimulant énergique de progrès véritable ».
 
Un peu plus loin, Charles de MONTBLANC parle du sens de l’honneur des Japonais, notamment à travers le « suicide ». Puis, il en déduit que :
« Un peuple qui donne une place si importante au sentiment de l’honneur doit attacher un grand prix à l’expression de mutuelle considération. C’est ce qui se produit au Japon, où le respect se manifeste surtout dans l’extrême politesse qui préside aux relations. Tout y est soumis à l’observance de règles précises, qu’un Japonais n’oublie jamais et dont le code de la politesse fixe chaque détail. ».
Il ajoute alors une phrase qui fera sans doute réagir ou réfléchir beaucoup de nos concitoyens actuels qui ont sans doute une vision différente de la position de la femme au Japon :
« Dans cet ordre, rentre le respect dont sont entourées les femmes au Japon, à coté cependant d’une licence de mœurs qui s’étale comme la chose du monde la plus naturelle ».
Par « licence de mœurs », il faut comprendre « immoralité » ou encore « impudicité ».
Il constate également que :
« Cette politesse de mœurs se traduit encore par le soin des personnes, la propreté des habitations, le fini artistique des objets d’usage journalier ».
Globalement, on pourrait croire que tout ceci a été écrit il y a quelques mois…
 
D’un point de vue économique, Charles de MONTBLANC (photo de gauche) explique l’intérêt qu’a pu représenté le Japon pour les étrangers et pourquoi ceux-ci ont voulu s’y précipité après l’ouverture du pays par le commodore PERRY, tout en nous faisant prendre conscience d’une réalité que nous avons sans doute oubliée ou même méconnue, tellement le Japon d’aujourd’hui est le plus souvent présenté (et par les Japonais eux-mêmes) comme presque totalement dépourvu de matières premières :
« Par le nombre et la densité de ses habitants, le Japon offre à l’étranger un vaste débouché pour un grand nombre de ses produits ».
Ceci est encore vrai et même encore plus d’actualité. Puis il poursuit :
« Par la richesse du sol et l’industrie des indigènes, ce pays peut nous donner en échanges de précieuses marchandises d’exportation vers l’Europe. Tous les renseignements sont unanimes à désigner le Japon comme un pays exceptionnel sous le rapport du nombre et de la richesse de ses mines. Un seul renseignement donnera une idée suffisante de l’abondance et de la facilité d’exploitation de l’or. Avant l’arrivée des étrangers, ce métal valait à l’intérieur quatre fois seulement son poids d’argent, au lieu de quinze fois et demie chez nous. Tous les produits des industries extractives sont abondamment représentées au Japon, où la surface du sol est aussi prodigue de trésors que les entrailles de la terre ».
On comprend l’envie des étrangers à venir au Japon, et même peut-être à le coloniser comme celui-ci l’a tant redouté. Mais on décèle aussi ce qui contribua, peut-être le plus, au succès de ce pays qui voulu rapidement progresser en important le savoir-faire industriel et le progrès occidental : le Japon avait les moyens de se les payer. Et ce, non seulement grâce à la simple possession de matières premières, comme beaucoup d’autres pays en possédaient mais ne savaient pas toujours les mettre en valeur, mais bien grâce aussi à un savoir-faire déjà très développé et qui constitue l’un des héritages les plus marquants de la longue période d’Edo qui se meurt :
« Au point de vue du luxe et de la curiosité, c’est à l’industrie japonaise qu’il faut faire appel : les porcelaines, les émaux, les laques, les bronzes, les aciers, les broderies, certains tissus de soie, sont autant d’articles dans lesquels les Japonais sont maîtres. Tous ces produits se distinguent par l’excellence des matières, la beauté du travail, l’élégance des formes, l’originalité de la main-d’œuvre. Ils nous révèlent des dispositions artistiques, qui prendront certainement un développement nouveau au contact de la civilisation européenne ».
Si l’on se rappelle qu’on est en 1866, on s’aperçoit que, dans cette dernière phrase, Charles de MONTBLANC n’est pas qu’un excellent observateur, il apparaît même comme un véritable visionnaire.
Il transmet aussi très bien, à travers ce discours destinée à une audience française, l’état d’esprit des Japonais – tout en y soulignant la chance que cela constitue pour ses compatriotes :
« Sous tous les rapports, les Japonais sauront profiter de l’expérience occidentale ; car ils possèdent un ardent désir d’apprendre et une singulière aptitude au progrès qui les séparent de tous les autres Orientaux. »
 
A ces différentes considérations qui prouvent surtout sa faculté d’observation, Charles de MONTBLANC y ajoute une analyse qui est non seulement très juste mais aussi très importante pour bien comprendre les débuts des relations franco-japonaises. Car si la France a bien fait partie du peloton de tête des grandes nations qui ont signé des traités avec le Japon, il faut savoir que, contrairement aux autres pays, les signataires du « Traité de paix, d’amitié et de commerce entre la France et le Japon » signé en 1858 n’avaient pas vraiment de politique, notamment commerciale, bien définie avec ce pays. Pour la France, la principale motivation a été diplomatique et même conditionnée par une seule considération : ne pas prendre de retard par rapport à l’Angleterre, sa principale « rivale ». Charles de MONTBLANC, qui a fait partie de la délégation conduite par Jean-Baptiste Louis GROS en 1858 pour la signature de ce traité, puis qui est revenu au Japon après l’Exposition Universelle de 1867, a pu observer tout cela, dont la relative faible présence française presque 10 ans plus tard, et en tirer des enseignements :
« Aujourd’hui, nos relations sont extrêmement superficielles : sur trois points seulement ont lieu quelques transactions de marchands à marchands, quelques commandes gouvernementales, quelques conférences officielles, et c’est tout ».
Objectivement, MONTBLANC exagère tout de même un peu. Ainsi, par exemple, dès 1865 (un peu plus d’un an avant ce discours donc), la création de l’arsenal de Yokosuka a été lancée. Un projet qui s’avèrera de très grande importance par la suite. Mais il est vrai que, si un certain nombre d’autres relations commerciales se sont instaurées et se développeront considérablement au fil des ans, comme par exemple dans le secteur de la soie et de la filature, il s’agit souvent à l’origine de projets privés et non le fruit d’une grande politique nationale. Ils ne le deviendront qu’un peu plus tard.
 
« Ce qui, jusqu’à présent, a fait obstacle à cette réalisation, c’est que nous sommes restés dans les errements des premières démarches forcément erronées dans un pays dont on ne connaissait pas la constitution sociale ».
Charles de MONTBLANC explique ces premiers errements du fait des Américains qui, dès leur arrivée au Japon, ont considéré le « Taïkoune » (un des noms donnés au shōgun) comme autorité suprême et dominant tout le reste du Japon. Le Mikado, dit-il, dont l’existence même n’a été connue qu’un peu plus tard, a été considérée comme « simple » autorité spirituelle. D’autre part, les étrangers, de façon générale, se sont laissés abusés par un shōgun qui affichait une autorité vers l’extérieur alors qu’elle était déjà bien contestée en interne par les grands daimyō, les seigneurs des domaines ou han, qui étaient en réalité des suzerains tout puissants dans leur han respectifs.
« Ces princes Daimios possèdent l’entière suzeraineté de leurs États. Ils ont leur armée, leur marine, leurs finances, leur administration, leur justice » explique-t-il.
Et ayant observé ce qu’il s’est passé dans les dernières années au Japon, il en conclut :
« Le lien de féodalité fut rompu. Les Daimios ne considèrent plus le Taïkoune comme mandataire du Mikado. ».
Et effectivement, ce sera l’année suivante, en 1867, que le shōgun TOKUGAWA Yoshinobu restituera officiellement tous ses pouvoirs à l’Empereur.
Et, au passage, on comprend ainsi mieux pourquoi, comme il est résumé dans Wikipédia, Charles de MONTBLANC « suggère alors la participation du clan à l’Exposition universelle de 1867. Nommé commissaire de l’Exposition par le représentant du clan, il obtient que les armoiries des Satsuma soient apposées aux côtés de celles de Tokugawa à l’entrée du pavillon du Japon » (la photo en bannière représente des archives relatant cette participation, on reconnaît le blason – une croix entourée d’un rond – du clan SHIMAZU, daimyō de Satsuma, au centre de la photo du pavillon en bas à droite). Il a sans doute compris que l’autorité du shōgun ne durerait pas et qu’il fallait dorénavant soutenir ces daimyō qui eux-mêmes s’y opposaient ouvertement. Et il a fait le choix d’un daimyō, en l’occurrence SHIMAZU Tadayoshi, seigneur du domaine de Satsuma, un domaine avec lequel il avait eu l’occasion d’établir des relations privilégiées.
 
Napoléon III a-t-il eu vent de ce discours ? Toujours est-il que, pour différentes raisons compréhensibles sinon vraiment justifiées, il fera le choix de soutenir le shōgun – et donc non l’empereur – en acceptant l’envoi d’une mission militaire afin de moderniser son armée déjà mise à mal par la coalition imprévue de Satsuma et de Chōshū, la fameuse « alliance Satchō ». Celle-là même qui constituera le cœur de l’armée dite « impériale » qui affrontera et finalement triomphera de celle du shōgun et de ses derniers soutiens lors de la Guerre de Boshin. De son coté, Napoléon III perdra ensuite la guerre contre la Prusse, ce qui aura pour conséquence indirecte, dans le lointain Japon, d’inciter le jeune empereur Meiji à se détourner de la France au profit de l’Allemagne dans un certain nombre de domaines, notamment le secteur militaire. Et il faudra toute l’habileté de quelques Français comme Gustave Émile BOISSONNADE ou autre Louis-Émile BERTIN pour renouer des relations privilégiées entre la France et le Japon.
 
Avec toutefois une autre considération qui sera tout à fait primordiale dans toute l’histoire de ces relations franco-japonaises dont nous commérerons donc les 160 ans en 2018: dès leurs débuts, et jusqu’à aujourd’hui, le Japon a toujours regardé la France de façon différente de ses « rivaux » occidentaux, qu’il considérait essentiellement mus par des considérations politiques, diplomatiques, industrielles ou commerciales. Et même quand la France n’est apparue qu’au deuxième, voire au troisième plan dans ces différents secteurs d’activités aux yeux des Japonais, ceux-ci l’ont toujours considérée comme possédant un « plus » par rapport aux autres nations, notamment aux Américains, aux Anglais ou aux Allemands : une très longue histoire, une civilisation unique et surtout une culture sans égale en occident.
Un « plus » auquel les Japonais ont toujours été et continuent d’être très sensibles.
 
 
(C.Y.)