Georges LABIT (1862-1899) est surtout connu pour avoir été un grand voyageur devant l’Eternel. Et si sa passion pour les voyages l’a conduit dans différentes parties du monde (Scandinavie, Europe centrale, Afrique du Nord, etc.), il fut, avec Émile GUIMET, l’un des rares aventuriers français à avoir visité l’Extrême-Orient et notamment le Japon sous l’ère Meiji et en avoir rapporté suffisamment de souvenirs de valeur pour leur faire prendre place dans des musées qui portent leur nom. Et si le Musée Guimet de Paris est bel et bien le plus connu des musées français pour les arts asiatiques en général et l’art japonais en particulier, le Musée Georges Labit (photo de droite) prouve lui aussi qu’un Toulousain s’intéressa grandement à ce pays mêlant déjà ancienneté, longue histoire et traditions à une modernité naissante et menée tambour battant. Un musée qui mérite incontestablement le détour pour la variété et la qualité de sa collection d’objets d’art asiatiques.
Notons à ce sujet l’intérêt pour le Japon de bien d’autres Toulousains, dont l’un de ses plus célèbres maires, Pierre Baudis, qui fut à l’origine de la création, en 1981, de l’un des quatre grands Jardins Japonais de France et qui compte aujourd’hui parmi les « Jardins remarquables de France » (photo de gauche). A ne pas rater lors de votre prochain séjour dans « la Ville Rose »!
 
La courte vie de Georges LABIT (photo de gauche, qui porte pour légende « Georges Labit, rue Bayard, le 12 mai 1889, la veille de son grand départ pour le Japon ») ne semble pas avoir été vraiment marquée par d’autres choses que le fait qu’il ait été un grand voyageur. C’est juste si l’on précise, si l’on navigue sur internet et sur les sites qui en parlent, qu’il fut aussi un commerçant et un collectionneur. Pourtant, il semble que son existence ne fut pas qu’un long fleuve tranquille. Et sa mort reste aujourd’hui encore un mystère, donnant au personnage une dimension encore plus rocambolesque. Des aspects souvent méconnus dont témoigne cet article, signé par Philippe HUGON, et publié dans « La Dépêche » le 23 août 2001 :
 
« La rumeur populaire ne s’embarrasse pas de délicatesse. Et en février 1899, à Toulouse, pour expliquer la mort de Georges Labit, fils du très fortuné Antoine Labit, on murmure qu’une maîtresse éconduite lui a tout simplement coupé… son nom ».
Une thèse de l’émasculation, parfaitement fantaisiste, mais qui vient combler l’absence d’explication officielle sur la brusque disparition d’un homme de 37 ans, notable apprécié de ses concitoyens, dont le mariage devait être célébré quelques jours plus tard.
Sa fin ne sera jamais élucidée. Après son enterrement, son père s’oppose à toute enquête…
Fait encore plus étrange, dans les jours qui suivent les faits, aucune autorité officielle n’insistera pour tirer au clair les circonstances du décès.
La rumeur, toujours elle, s’empare alors de l’affaire. Bientôt, dans la ville, les hypothèses vont se multiplier quant à la cause réelle du décès de Georges. Une d’entre elle affirme que Labit a été terrassé à l’angle de la rue Bayard d’un coup de flèche empoisonnée!
L’auteur du meurtre, prétendent des proches de la famille, serait un certain Georges Sicard, frère d’une maîtresse abandonnée. Une vendetta familiale sur fond de romance qui n’a jamais trouvé une quelconque confirmation.
En revanche, peu de temps après la mort de Georges Labit, son père, Antoine, fouille consciencieusement les archives de son fils. Il en retire ou découpe de nombreux documents. Les archives de Georges sont aujourd’hui encore conservées et attestent de cet étrange comportement. Antoine voulait-il cacher quelque chose?
Ce quelque chose avait-il un rapport avec la mort de son fils? Difficile de répondre. Mais, une chose est sûre: tout au long de sa courte existence, Georges a entretenu des rapports particulièrement conflictuels avec son puissant père. Une quinzaine d’années plus tôt, ce dernier a d’ailleurs intenté une action en justice pour mettre son fils sous tutelle. Antoine reproche à Georges ses dépenses: la loi va lui donner raison et totalement assujettir Georges au bon vouloir de son père.
La part de fortune venant de sa mère décédée lui est confisquée et confiée à Antoine Labit… Sombre histoire familiale, révélatrice de l’autorité d’un père qui ne tolère aucune rivalité.
 
VOYAGEUR ET COLLECTIONNEUR
 
Issu d’une lignée de commerçants, Antoine a débuté sa prodigieuse ascension dans un bazar de la rue Saint-Rome. Rapidement, son sens des affaires lui permet d’ouvrir un nouveau magasin, nettement plus vaste, à l’angle des rues Lafayette et Alsace- Lorraine. Intitulé « La Maison universelle », ce grand magasin devient en quelques années le commerce le plus fréquenté de la ville. On y trouve de tout et Antoine engrange d’importants bénéfices qu’il réinvestit dans l’édification d’un vaste patrimoine immobilier. Quand Georges naît en 1862, il est déjà un des hommes les plus riches de Toulouse. Ses affaires dépassent le cadre de la cité. Connu à Paris, il en profite pour envoyer Georges parfaire ses études auprès d’un négociant en 1881. Le jeune homme a 19 ans et mène une vie de fils prodigue qui lui vaut sa mise sous tutelle. Une relation orageuse s’installe alors avec son père. Georges part quelques temps plus tard à Vienne pour parfaire son apprentissage du commerce. Trois ans plus tard, il rentre à Toulouse. Les relations avec Antoine se sont améliorées. Celui-ci consent à le charger d’une mission de prospection commerciale. Désormais, Georges parcourra le monde pour ramener au « Magasin Universel » des produits de tous les pays. En quelques années, il écume l’Europe, La Laponie, L’Afrique du Nord, la Chine, le Japon. Fasciné par les contrées qu’il traverse, le commerçant devient ethnologue. En plus des produits pour le magasin familial, il ramène des centaines de témoignages et d’objets des peuples qu’il visite. Ses connaissances l’amènent à devenir correspondant de la prestigieuse Société géographique de Toulouse. Il collabore à divers journaux et publie des reportages et des photographies sur ses voyages. Les années passent entre affaires et voyages. Devenu un notable toulousain, il est en 1894 le représentant de la ville de Toulouse aux funérailles du tsar de Russie, Alexandre III. En 1893, il inaugure un musée, financé par son père. L’endroit est dédié aux nombreux objets ramenés de ses voyages.
Dans le même temps, peu à peu, son père consent à lui donner une part plus importante dans la gestion de ses affaires. Georges annonce même à un père réjoui son intention de se marier. L’époque des crises semble définitivement passée. A quelques jours de son mariage, le drame survient.
Antoine restera inconsolable de la perte de son fils.
Peut-être pour préserver l’honneur de sa mémoire, il ne souhaita pas que les causes de sa mort soient rendues publiques. Le mystère reste entier. »
 
 
Si l’on consulte internet, on ne trouve que peu d’informations sur ce que fut le séjour de Georges LABIT (photo de droite, buste se trouvant dans son Musée à Toulouse) au Japon. Il semble qu’il soit arrivé d’abord à Kōbe, visitant aussi la ville voisine de Nishinomiya et le département du Hyōgo. Puis il se rendit à Yokohama, où se situait la principale concession française du pays, et d’où il put facilement se rendre à Tōkyō. Et de la capitale, on sait qu’il se rendit à Nikkō, mais aussi à Kamakura et Enoshima. Enfin, il est dit qu’il quitta le Japon pour la Chine en embarquant à Nagasaki. Ce qui représente un étonnant périple, à une époque où, rappelons-le quand même, les chemins de fer étaient encore rare et il n’existait pas de Shinkansen ou d’aviation et des lignes intérieures ! Quelques écrits témoignent que certains de ses déplacements se firent au moyen de jinrikisha, ces pousse-pousses japonais composés d’un siège monté sur deux roues et tirés par un seul homme, souvent au pas de course. Un moyen de locomotion que l’on imagine efficace et pratique pour de courtes distances en ville, mais dont on aura sans doute plus de mal à expliquer comment cela pouvait être possible sur des distances dépassant les dizaines ou même les centaines de kilomètres… !
 
Dans la plupart des sites qui lui consacrent un article ou un paragraphe, peu d’informations en réalité sur ce que vit et ce que fit Georges LABIT concrètement au Japon. Mais un livre qui lui est intégralement dédié, écrit par Geneviève LEFEVRE et intitulé « Georges Labit : un globe-trotter toulousain 1862-1899 » nous éclaire de façon très intéressante et parfois même amusante sur ce qu’était le Japon de cette époque ainsi que sur la présence étrangère. Ou du moins de ce que Georges LABIT et son compagnon de voyage, un certain M. de MONTREUIL, en ont perçu. Nous nous permettons très librement de vous en reproduire ici un extrait :
 
« LE PORT DE YOKOHAMA.
La traversée bord du Djemnah s’achève à Yokohama, le vaste entrepôt commercial de l’Empire. Le paysage est moins riant qu’à Kobé et la concession à l’air d’une banale ville de province anglaise, avec ses maisons blanchies à la chaux. Les riches hôtels américains qui n’ont rien emprunté au Japon, les magasins semblables à ceux de Londres ou de New-York et d’affreux bars où l’on débite du gin, whisky, cocktails, font oublier aux voyageurs l’éloignement de l’Occident. La livre sterling, aussi universelle que la langue anglaise, est acceptée dans tout le Japon, alors que la monnaie française s’échange uniquement à Yokohama contre des yens japonais, et encore, à un change très défavorable.
La ville se divise en quatre parties principales : la ville européenne au bord de la mer, le Bluff sur la colline, la ville chinoise et la ville japonaise.
Le Yokohama européen compte cinq mille habitants. Les plus nombreux sont les Anglais, dans le haut commerce et la banque, concurrencés par les Américains du nord et loin derrière, on recense seulement quatre-vingt cinq Français, en comptant le personnel du consulat et de l’agence des Messageries Maritimes. Chaque communauté forme une société avec ses intérêts à part.
Depuis l’ouverture des ports du Japon, les commerçants et banquiers occidentaux qui ont fait fortune se sont fait construire de superbes maisons de plaisance sur la riante colline du Bluff – quartier qui est à Yokohama ce que Saint-John’s Wood est à Londres et Passy à Paris – où flottent des pavillons de différentes nationalités.
Les Chinois sont aussi nombreux que tous les étrangers réunis. Ils ont des emplois de caissier ou de comptable dans les grandes maisons de commerce et de crédit ou font « la petite banque, le petit négoce » en vendant meilleur marché que les Européens. Comme toutes les villes chinoises, leur quartier, fait d’un amas de constructions mal bâties, se sent de loin… Ce centre pestilentiel regorge de maisons de jeux et de bouges fréquentés par la population interlope de Yokohama et par les marins de passage.
La ville japonaise, très étendue, contraste par la propreté de ses belles rues bordées de maisons de bois sans la moindre peinture, « de vrais joujoux de chalets suisses » aux vitres en papier translucide. Dans la journée, on fait coulisser les unes sur les autres leurs façades légères en sapin, de sorte que l’on voit tout ce qui se passe à l’intérieur. Extrêmement inflammables, ces habitations sont à la merci de la moindre étincelle capable de réduire en cendre tout un quartier. En 1876, douze mille incendies ont anéanti près de quarante cinq mille maisons dans le pays. Les bâtiments qui échappent aux incendies risquent d’être démolies par les tremblements de terre si fréquents au Japon. C’est pourquoi il est rare qu’un Japonais naisse, vive et meure sous le même toit, sauf à la campagne où l’on trouve encore des constructions anciennes. »
 
 
Reconnaissez que cet extrait est particulièrement instructif à bien des égards et regorge de détails parfois croustillants. On pourrait même croire que ce texte décrit des particularités nationales très contemporaines… ! Nous ne pouvons que vous recommander la lecture de l’ouvrage entier.
Enfin, pour l’anecdote qui a récemment fait « le buzz », c’est au sein de la collection de masques de théâtre japonais du Musée Georges Labit que vous trouverez ( photo de droite) celui qui a soulevé tant de commentaires dans la presse et sur les réseaux sociaux, surpris ou moqueurs, en raison de sa surprenante mais néanmoins évidente ressemblance avec l’un des nos anciens Présidents. Lequel est par ailleurs connu pour sa passion pour le Japon… Coïncidence?
 
 
(C.Y. )