(Retrouvez l’épisode 1 et l’épisode 2 )
 
 
Nous sommes en 1869. Avec SAIGŌ Takamori à leur tête, les troupes soutenant le retour de l’Empereur et la fin du shogunat ont remporté les différentes batailles, de l’ouest à l’est et de l’est au nord du Japon, qui les opposaient aux derniers domaines qui soutenaient encore le gouvernement shogunal et qu’on appelle, de manière globale, la Guerre de Boshin.
 
L’ère Meiji est officiellement née depuis un an. On cite souvent l’Empereur comme étant l’auteur de toutes les réformes qui interviendront et comme celui qui a engagé le Japon sur la voie de l’occidentalisation et de la modernité. Il faut bien comprendre que si tout cela s’est effectivement fait sous son autorité, l’Empereur n’était ni seul, ni à l’origine de la plupart des grandes décisions. Ce sont essentiellement ceux, qui durant toutes les dernières années du bakumatsu, ont provoqué la chute du gouvernement shogunal, qui ont formé ce qu’on appelle un shinseiken ou « nouveau gouvernement ». On retrouve, formant son noyau dur, des hommes comme ŌKUBO Toshimichi et SAIGŌ Takamori du domaine de Satsuma, KIDO Takayoshi et ITŌ Hirobumi de Chōshū, ITAGAKI Taisuke de Tosa, ainsi qu’un homme fort de l’ancien gouvernement, IWAKURA Tomomi. Bien que resté jusqu’à la fin fidèle au shōgun par devoir, ce dernier en avait toutefois été en quelque sorte « l’opposant de l’intérieur » et il s’était toujours montré en faveur de la Cour impériale. Du fait d’être né à Kyōto et d’avoir longtemps servi à la Cour. Ainsi, dès l’arrivée des Américains, il s’était montré plutôt hostile à l’ouverture du Japon requise par ceux-ci. Il n’avait pas été favorable aux Traités de paix signés en 1858. Il avait très rapidement soutenu l’idée d’un retour en politique de la Cour et donc de l’Empereur, tout en restant néanmoins fidèle au shōgun qui était en quelque sorte son « employeur » direct et qui était lui-même le dépositaire de l’autorité de l’Empereur. Une position souvent mal comprise aussi bien par les soutiens de TOKUGAWA que par ses opposants. Mais en 1867, il avait largement contribué à convaincre le shōgun de démissionner et de restituer ses pouvoirs à l’Empereur. Non pas parce qu’il était son ennemi, mais parce qu’il avait estimé que la situation était devenue tellement critique pour lui que cette forme de retrait et de renonciation était la seule façon possible, pour le shōgun, d’éviter une guerre totale. Et que c’était sans doute la seule façon pour celui-ci de ne pas disparaître totalement et même, peut-être, de conserver un rôle après ou malgré sa démission.
 
Mais assez rapidement, SAIGŌ va se retrouver dans une situation paradoxale au sein de ce nouveau gouvernement. D’un coté, il est conscient de la nécessité pour ce nouveau Japon d’abandonner toute une partie de ses traditions et de changer radicalement d’organisation, d’administration et surtout de mentalité. Mais d’un autre coté, il est un samouraï, un guerrier, très attaché à tout ce que ces traditions avaient de bon jusque là. Ainsi, s’il a été l’un des principaux acteurs ayant contribué à mettre en place une nouvelle structure gouvernementale, une politique d’ouverture et une nouvelle pensée, il va progressivement s’y opposer, notamment quand cette nouvelle organisation politique va conduire à la disparition des han, des domaines, ainsi que celle des castes aristocratiques qui les ont dirigé pendant des siècles et des siècles, comme celle des samouraïs qui ont été leurs bras armés et leurs défenseurs. A titre personnel, il n’a pas vraiment de mal à renoncer à ce titre de samouraï. Mais il sait combien en souffrent tous ceux qui le sont encore et qui n’ont ni d’autres buts ni d’autres moyens de subsistance qu’en étant des samouraïs et qui perdront les nombreux privilèges qui y étaient liés.
 
En 1871, le nouveau gouvernement avance à marche forcée, il sait qu’il lui faut aller vite pour mettre en œuvre sa politique de changement, car sans elle, le risque d’un retour en arrière est grand. Déjà, un certain nombre de domaines se demandent si, à l’ancienne autorité absolue du shōgun, n’a pas tout simplement succédé un autre gouvernement tout aussi autoritaire. Le 29 août, il fait promulguer le Haihanchiken, édit qui abolit définitivement les domaines (han) et les remplace par des départements (ken). Ainsi, toute l’organisation administrative est modifiée. Et le 23 septembre, c’est cette fois la promulgation de la loi Sanpatsu-dattorei qui interdit le port du katana et qui impose de renoncer au chonmage, la coiffure traditionnelle des Japonais comportant un chignon. De nos jours, on imagine mal la portée de ce deuxième édit. Et pourtant, si l’on y réfléchit, on peut constater qu’actuellement encore, la chevelure est souvent porteuse d’un symbole fort, c’est un signe distinctif témoignant d’une identité, d’appartenance à une communauté: les cheveux longs de la génération « peace and love » ou des soixante-huitards, la « banane » pour les rockers, etc… Pour les samouraïs, leur chignon était là où résidait leur âme. Se faire couper le chignon était l’acte le plus déshonorant que l’on puisse leur faire subir. C’est ainsi qu’il fallut plusieurs années, une loi supplémentaire et plus contraignante ainsi que la répression de nombreux cas de révoltes (qui firent même des morts) avant que les Japonais n’acceptent finalement de se coiffer « à l’occidentale ».
 
Quelques mois plus tard, SAIGŌ Takamori va se retrouver très occupé : il va devoir prendre la tête du gouvernement en raison d’un séjour de ses principaux collègues en Amérique (illustration de droite). C’est en effet la constitution et le départ, deux jours avant Noël de cette année 1871, de la « mission Iwakura », composée donc de IWAKURA Tomomi qui en est le chef, mais aussi de KIDO Takayoshi, ŌKUBO Toshimichi ou autre ITŌ Hirobumi. Elle ne reviendra au Japon qu’en septembre 1873. Pendant ce temps, SAIGŌ ne restera pas inactif, loin de là: il consolidera la mise place des ken, il créera un Ministère de l’Armée de Terre et un Ministère de la Marine, il lancera les bases de la toute première organisation scolaire, au Japon, au niveau national, il fera promulguer un édit permettant la création d’une Banque du Japon, etc…
 
Mais c’est aussi à cette époque que naitra et se développera une controverse connue en français sous le nom de « Débat de Seikanron ». Ce débat portait sur une éventuelle guerre contre la Corée, et ce pour plusieurs raisons. La première d’entre elles, disons la plus « officielle », était que ce pays refusait toujours de reconnaître l’autorité et la légitimité du nouvel Empereur Meiji. Une occasion d’aller punir la Corée s’était également présentée au Japon, celle-ci ayant insulté et expulsé des représentants japonais envoyés pour établir des relations commerciales et diplomatiques. Enfin, une raison plus personnelle fit que SAIGŌ fut l’un des plus ardents défenseurs et soutiens de cette guerre : il estimait que c’était sans doute la meilleure façon d’occuper les samouraïs dont la colère constituait une menace de plus en plus forte pour le gouvernement. Et, parce qu’il était lui-même un ancien chef de guerre, cela constituait une réelle préoccupation pour lui. Mais l’opposition à cette éventuelle guerre était également forte, une opposition justifiée par le pragmatisme de nombreux notables qui estimaient qu’envoyer une armée en Corée ne pourrait qu’affaiblir financièrement le nouveau gouvernement, et que d’autre part, cela pouvait être risqué par rapport à la présence grandissante des occidentaux, une présence nécessitant une protection – voire une surveillance – toujours accrue. Et que cela requérait la constitution d’une police et une armée puissante et nombreuse à l’intérieur même du pays afin d’y maintenir l’ordre. Or IWAKURA, qui bien qu’en voyage aux États-Unis et en Europe, était régulièrement tenu informé des affaires importantes de son pays dont il demeurait l’un des principaux dirigeants, faisait partie des opposants à cette guerre. C’est d’ailleurs en partie ce qui motivera son retour rapide au Japon et, sur son intervention et ses conseils, l’Empereur Meiji décida de renoncer à cette campagne. SAIGŌ reçut cette décision comme un désaveu, et s’il ne démissionna pas formellement de ses fonctions au sein du gouvernement, il décida néanmoins de rentrer dans son pays d’origine, l’ex-Satsuma han désormais appelé Kagoshima-ken.
 
Pour lui, c’est une quasi-retraite. SAIGŌ est souvent présenté comme un grand héros, il semble toutefois que c’était un homme sans véritable égo : il ne tenait pas du tout à être considérer comme un grand chef, de surcroit héroïque, c’était plutôt son entourage ou même l’ensemble des samouraïs qui le considéraient comme une légende vivante. Bien que militaire, son soucis constant a, semble-t-il, toujours été de tout faire pour éviter les guerres, ne les livrant que quand il y était obligé. C’est-à-dire quand d’autres voulaient combattre et le portaient à leur tête. On peut comprendre cela à travers cette « alliance Satchō » qu’il conclut avec le domaine de Satsuma de KATSURA Kogorō qui pourtant avait été jusque là son ennemi juré, aussi bien pour éviter une guerre contre le domaine de Chōshū mais surtout contre les armées du shōgun. On retrouve également ce trait de caractère lorsque, à la veille de prendre le château d’Edo, siège et symbole du pouvoir du shōgun, il renonça à l’attaquer, à l’issue d’une négociation et en suivant la demande de KATSU Kaishū. Il accepta la reddition du château afin d’éviter un probable bain de sang dans la capitale shogunale qui aurait pu causer des milliers de morts.
De retour à Kagoshima, SAIGŌ n’avait donc plus d’activités politiques. Il décida alors d’ouvrir une école militaire privée dans laquelle il formerait les ex-samouraïs. Il fonda cette école avec différentes sections, une d’infanterie, une d’artillerie, ainsi qu’une section d’enseignement général destinée aux enfants. Et une fois l’école ouverte, il en confia la gestion à plusieurs de ses amis proches et lui-même s’adonna à des activités de la vie courante d’un pré-retraité : on dit qu’il aimait se reposer chez lui, faire de longues balades avec son chien, ou encore aller dans les onsen (sources thermales).
 
Mais s’il semblait ainsi décidé à avoir – enfin – une vie tranquille, le monde s’agitait autour de lui, et principalement dans l’île de Kyūshū, où les anciens samouraïs vivaient de plus en plus mal la suppression de leur caste et de leurs privilèges. Ils en voulaient de plus en plus au nouveau gouvernement, et ce furent eux qui vécurent le plus mal le désaveu de SAIGŌ. Se sentant trahis et abandonnés, nombre d’entre eux se révoltèrent et les actions de rébellions se multiplièrent. Les plus importantes sont connues sous les noms de rébellions de Saga, de Fukuoka, d’Akizuki ou encore de Hagi, ville située dans l’ancienne Chōshū et rebaptisée département de Yamaguchi. Puis ce fut au tour de la ville de Kumamoto de se soulever. Les troupes impériales qui avaient réussi, en raison de leur nombre surtout, à écraser les différentes révoltes dans le nord de l’île de Kyūshū, descendait donc vers le centre. Kagoshima, située au sud de l’île, se sentit de plus en plus menacée. C’est pourquoi les samouraïs de l’ex-Satsuma décidèrent d’entrer eux aussi en guerre. Mais ils avaient besoin d’un chef. Et l’on pense que ce furent eux qui réussirent à convaincre SAIGŌ, le chef de guerre par excellence et déjà légende en son pays, à reprendre les armes et le commandement. C’est ainsi que débuta la « Rébellion de Satsuma », appelée en japonais « Seinan sensō » ou, littéralement, « la guerre de l’ouest contre le sud ». Une guerre assez localisée mais qui dura tout de même 8 mois.
Le gouvernement tenta d’abord d’attaquer Kagoshima par la mer, mais la ville se défendit. Puis le théâtre des opérations se transporta donc dans la ville de Kumamoto où se trouvait une importante caserne régionale de l’armée du gouvernement. Son siège fut long et si l’armée du sud, conduite par SAIGŌ et les samouraïs de Satsuma, s’affaiblissait progressivement, l’armée du gouvernement eut, en revanche, le temps d’attendre de très importants renforts. Pour comprendre la durée de ce siège comme celle, de façon générale, de cette révolte de Satsuma, il convient de prendre en compte une situation particulière : coté Satsuma, les effectifs étaient bien moins nombreux (on aurait compté, au maximum, environ 40 000 soldats) mais ils étaient pour la plupart des ex-samouraïs, donc rompus au combat. Coté gouvernement, son armée était près de 8 fois plus importante. Mais cette armée était essentiellement composée de conscrits. Le nouveau gouvernement avait en effet, dans le but de disposer d’une grande armée, décidé d’adopter le principe de la conscription. Mais s’ils étaient donc nombreux, ces soldats, souvent issus du monde paysan ou de celui des commerçants, étaient loin d’avoir le courage, l’expérience et l’efficacité de leurs adversaires. En revanche, ils disposaient d’armes de plus en plus modernes et performantes. Le Gouvernement disposait aussi d’une toute nouvelle « arme » : la transmission. Le télégraphe électrique était arrivé au Japon au tout début de l’ère Meiji, et la première ligne mise en service fut celle qui relia Tōkyō à Yokohama en janvier 1870. Conscient de sa très grande utilité, le gouvernement le développa très rapidement et c’est ainsi qu’au moment de la rébellion de Satsuma, l’essentiel du maillage du pays était fait, offrant ainsi un avantage certain, en terme de transmission des informations, au gouvernement et à son armée, alors que du coté de Satsuma, on n’en était encore qu’au porteur de messages à pied ou, au mieux, à cheval. Et c’est ainsi que, grâce au nombre et à leur armement, les soldats gouvernementaux réussirent à dominer l’armée de Satsuma, dont les survivants durent progressivement battre en retraite vers Kagoshima. Et c’est en septembre 1877 que se déroula l’ultime bataille dite « bataille de Shiroyama » (illustration de gauche). Du nom d’une petite colline dans laquelle prirent position les derniers samouraïs de Satsuma. Une colline avec un seul chemin, taillé dans la forêt qui la recouvrait et permettant ainsi de le défendre facilement. L’armée gouvernementale essaya de les attaquer par vagues successives mais le terrain ne leur était vraiment pas favorable. Elle devait plutôt monter vers le sommet de la colline alors que les rebelles occupaient une position supérieure bien plus confortable (on les aperçoit en haut à droite de l’illustration). Les arbres rendaient presque inutiles les armes à feu, et les corps à corps donnaient un très grand avantage aux samouraïs surentrainés sur les conscrits.
 
C’est alors que le commandant en chef de l’armée gouvernementale, YAMAGATA Aritomo, eut une idée normalement impensable. Lui qui avait été nommé Ministre de la Guerre en 1873 et qui avait été le créateur de la conscription, parvenant à convaincre l’Empereur que, pour recruter en masse et surtout assurer la fidélité des soldats, il valait mieux enrôler des paysans, des commerçants ou autres, et donc des « non-militaires » issus de la population, plutôt que de ne récupérer que d’anciens samouraïs qui pourraient ne pas accepter leur nouvel « employeur », lequel était précisément celui qui avait supprimé leur caste, il décida de réunir en un bataillon « spécial » quelques anciens samouraïs qui avaient tout de même été recrutés mais dont la fidélité lui était acquise. Pour bien comprendre cette situation il est vrai un peu ambigüe, il convient de bien réaliser ce qu’était la réalité du Japon de cette époque : si beaucoup de gouvernants et de soldats étaient issus des anciens domaines de Chōshū, Satsuma ou encore Tosa, c’est-à-dire, de façon générale, de la pointe ouest de l’ile de Honshu, d’une partie de Shikoku et de presque l’ensemble de Kyūshū, c’est-à-dire ceux-là même qui ont conduit à l’effondrement du système shogunal, il y a ceux qui sont favorables à l’Empereur, à son nouveau gouvernement et à toute sa nouvelle politique d’ouverture (contrôlée) à l’occidentalisation, mais il y a aussi ceux qui sont en quelque sorte « les perdants » de cette nouvelle politique. Et même s’ils sont aussi pro-Empereur, ils sont en revanche très hostiles au nouveau gouvernement. Ce sont donc bien souvent des anciens « frères d’armes » qui sont conduits à s’affronter. Et quand nous disons « frères d’armes », cela va très loin : en effet, si SAIGŌ Takamori est le chef (nous le rappelons, presque « malgré lui ») des rebelles, son propre frère SAIGŌ Tsugumichi est quant à lui un grand dignitaire pro-gouvernemental…
 
YAMAGATA Aritomo (photo de droite) est un ancien samouraï, né à Hagi, c’est-à-dire une ville faisant partie du domaine de Chōshū. En tant que tel, s’il a été un farouche opposant au shōgun, il n’accorde qu’une confiance relative aux gens de Satsuma avec lesquels la rivalité a été très grande et constante durant de très longues années et qui n’a pris fin qu’avec l’alliance Satchō. Ensemble, ils ont combattus contre les derniers soutiens du shōgun durant la Guerre de Boshin. YAMAGATA était donc à l’époque sous les ordres de SAIGŌ. Mais il est devenu de plus en plus pro-gouvernemental, tandis que SAIGŌ, comme on l’a vu plus haut, a été désavoué dans l’affaire dite du « débat de Seikanron ». Et dans cette rébellion de Satsuma, il se retrouve donc commandant de l’armée régulière contre son ancien commandant en chef. On pense savoir que, au fond de lui, YAMAGATA admirait SAIGŌ. C’est peut-être aussi pour cela que les dernières attaques contre lui se révélèrent peu efficaces. Certains pensent que, plutôt que de le battre et peut-être même le tuer, il essayait peut-être de juste le harceler en espérant une reddition de celui qu’il respectait infiniment. Mais un autre sentiment l’obligeait à sortir victorieux de cet étrange combat. Il devait le gagner, coûte que coûte. La défaite lui était interdite. Pour une raison simple, ou plutôt pour une simple raison de principe : la conscription qu’il avait imaginée puis réussi à imposer ne pouvait pas perdre devant les anciens samouraïs. C’était toute sa crédibilité et sa politique militaire qui étaient en jeu. Et c’est précisément pour cela que sa décision ultime pour remporter la bataille finale fut d’autant plus impensable : en réunissant un bataillon de samouraïs, c’était en partie l’aveu des limites et de l’inefficacité relative des conscrits. Mais YAMAGATA était aussi un homme pragmatique. Et il lui fallait à tout prix écraser la poignée des derniers samouraïs irréductibles repliés sur la colline de Shiroyama. Ils n’étaient en effet plus que quelque 400 hommes à résister… Le dernier assaut eut lieu le 24 septembre à l’aube. Profitant de la fatigue extrême et qu’on peut facilement imaginer des rebelles encore endormis, le petit bataillon de samouraïs engagea l’assaut, discrètement, uniquement armés de katana, et réduisit à 40 hommes à peine le groupe qui entourait SAIGŌ. YAMAGATA lança alors ses soldats armés « à l’occidentale » pour que ce soit eux qui, symboliquement, capturent SAIGŌ.
 
Mais celui-ci en décida autrement. Voyant sa fin arriver, SAIGŌ entreprit le geste ultime du samouraï défait mais qui veut mourir en conservant son honneur : le seppuku. Plus connu en France sous l’appellation harakiri, c’est-à-dire le suicide rituel en s’ouvrant le ventre et en demandant à l’un de ses plus fidèles lieutenants de l’achever en lui tranchant la tête.
C’est du moins la version la plus souvent admise au Japon. Car même auprès de quelques historiens japonais et auprès de bien d’autres, dont les étrangers, une autre version circule : SAIGŌ aurait été blessé par balle puis tué par un soldat qui lui aurait coupé ensuite la tête afin de conserver la preuve de la mort de l’ennemi, comme c’était la coutume du temps des samouraïs. Cette thèse serait entre autres basée sur un écrit d’un Français qui a fait l’objet d’un autre article : l’amiral Henri RIEUNIER. Présent à Kyūshū à l’époque des faits, il rendit compte aux autorités politiques françaises de la fin de la bataille en ces termes : «  La guerre civile est terminée. Takamori Saïgo ne pouvait plus tenir, et avait renvoyé ses partisans. Il aurait voulu passer à Shikoku où il y a beaucoup de mécontents : mais cerné sur une montagne isolée avec 400 de ses partisans, par 7000 impériaux qui les ont traqués comme des bêtes fauves, et bombardés à outrance, il a péri avec ses plus fidèles serviteurs. On dit que Takamori Saïgo déjà aux mains de soldats impériaux qui le garrottaient, avait été, selon ses instructions, décapité par les siens, avant qu’on ait pu l’enlever vivant. Takamori Saïgo a été si vite surpris qu’il n’a pas eu le temps de se brûler la cervelle. »
 
Mais quoi qu’il en soit de la façon dont il mourut, la seule chose à retenir est que c’est ce jour, le 24 septembre 1877, qu’est mort SAIGŌ Takamori, considéré par bien des Japonais comme l’une des plus grandes figures de toute la période du bakumatsu et des premières années de l’ère Meiji. Peut-être même l’un des plus grands héros et des plus légendaires, à égalité avec SAKAMOTO Ryōma.
 
Un homme qui, comme nous l’avons écrit en commençant l’évocation de sa vie dans l’épisode N°1, fut « l’un de ceux qu’on appelle Ishin no sanketsu en japonais, que l’on peut traduire par «les trois grands héros de la Restauration de Meiji. (…) Cet homme est considéré comme l’un des plus grands leaders qu’a connu le Japon. ». En effet. Malgré sa mort en tant que chef des rebelles s’opposant aux troupes de l’Empereur, ce dernier avait toujours aimé et même admiré sa personnalité et il savait ce qu’il lui devait. On dit que, quand on lui rapporta la mort de SAIGŌ, l’Empereur, très affecté – mais ne le montrant pas – aurait tout de même murmuré, d’un ton légèrement réprobateur : « Je n’avais pas demandé qu’il meure ». Et à peine 12 ans plus tard, en 1889, SAIGŌ fut officiellement réhabilité par ce même Empereur Meiji.
Il existe plusieurs statues de SAIGŌ Takamori mais deux d’entre elles, en particulier, expriment bien la dualité de l’homme, la double façon de le considérer, ce qui contribue encore plus à sa légende. A gauche, sa statue dans le Parc d’Ueno à Tōkyō. Et à droite, une de ses statues dans « sa » ville de Kagoshima. Comme on peut le voir, dans la capitale, siège du gouvernement et lieu de résidence de l’Empereur, on veut se souvenir du SAIGŌ pacifique, se baladant avec son chien, après donc avoir contribué à la Restauration de Meiji – mais avant de se rebeller. Il a son katana, symbole du samouraï, mais il vêtu d’habits simples. Par contre, dans son fief d’origine, on veut surtout se souvenir, pour l’éternité, de l’homme éclairé et du très grand chef militaire d’une extraordinaire modernité qu’il a été – en témoignent sans équivoque ses vêtements occidentaux.
 
Mais nous avons aussi écrit : « Mais il est sans doute le plus mystérieux de ces trois héros, les deux autres étant ŌKUBO Toshimichi et KIDO Takayoshi : c’est ainsi que le qualifient bon nombre d’historiens et d’experts japonais qui ont étudié minutieusement sa vie et tenter d’expliquer ses actes. Selon l’angle sous lequel on l’observe, les points de vues peuvent être radicalement opposés. Lui n’a jamais voulu entraîner personne avec de grandes théories et une force de conviction particulière, ce sont les autres qui en ont fait leur leader».
On pourrait ajouter que bien des historiens considèrent que SAIGŌ fut peut-être même « l’homme politique idéal », parce qu’entièrement dévoué au service de ses concitoyens et de son domaine, sans avoir jamais été mû par un quelconque intérêt personnel.
Mais pourquoi donc ces historiens pensent-ils cela ? Sur quoi ce basent-ils pour faire un tel éloge de cet homme ? Et pourquoi, si cela est vrai, SAIGŌ Takamori fut-il ce militaire accompli et surtout ce politicien « idéal » ?
A vrai dire, c’est dans sa jeunesse que l’on trouve ce qui sans doute explique et est à l’origine de cette personnalité hors normes.
Et c’est ce que vous pourrez découvrir dans le quatrième et dernier épisode que nous lui consacrerons bientôt…
 
(à suivre dans l’épisode 4, à venir).
 
 
(C.Y.)