En japonais, on appelle rōmaji les lettres des alphabets occidentaux. Littéralement, «les signes de Rome» ou «les signes romains». Et la codification de leur utilisation est une des multiples réalisations de l’ère Meiji.

 
L’utilisation des lettres occidentales remonte bien entendu à des temps bien plus anciens. Notamment à la période dite «des Grandes Guerres» ou Sengoku Jidai au 16ème siècle, principalement en raison de l’arrivée au Japon de missionnaires.
 
Plus tard, il existera bien une certaine forme de codification dite hollandaise. Cette appellation est la conséquence de la fermeture du Japon durant la période appelée sakoku. Une période d’isolement au sujet de laquelle on commet d’ailleurs souvent deux erreurs. On parle souvent d’une période de 250 ans. Or officiellement, on considère qu’elle a débuté en 1639 et s’est achevée en 1854. Ce qui ne fait «que» 215 ans. De plus, on attribue souvent cette décision de fermer son pays à l’étranger au fondateur de l’ère d’Edo, TOKUGAWA Ieyasu. Mais en réalité, c’est son fils et successeur Hidetada qui a en quelque sorte préparé et commencé à réaliser cette fermeture, et ce n’est que le 3ème shōgun Iemitsu qui l’a réalisé totalement.
Et comme vous le savez sans doute, seuls les Hollandais furent les occidentaux autorisés à commercer avec le Japon via l’île de Dejima, en face de Nagasaki. D’où, naturellement, la naissance d’une codification hollandaise des rōmaji.
 
Mais les choses changèrent donc avec la Restauration de Meiji et l’ouverture du pays à de nombreux étrangers, utilisant souvent les mêmes lettres mais de façons différentes. A titre d’exemple: en français, le «a» ne se prononce que «a». Mais en anglais, ce «a» se prononce parfois «a» comme dans «America» et parfois «ejames_curtis_hepburni» comme dans «cake». Déjà l’année précédant l’avènement de Meiji, en 1867, un Américain du nom de James Curtis HEPBURN (photo de droite)  commença à publier un dictionnaire anglo-japonais rédigé en rōmaji. Et c’est de cette publication que commença à exister une transcription qui fut connue sous le nom de «méthode Hepburn». Mais le Japon devait sans doute tenir à pouvoir affirmer la paternité d’une méthode de transcription officielle et ce fut un Japonais du nom de TANAKADATE Aikitsu (photo de gauche) qui la lui donna e121884n 1885. On appelle cette méthode Nippon shiki c’est-à-dire «à la japonaise». Et bien plus tard, cette méthode fut complétée et une nouvelle méthode fut officialisée par le gouvernement japonais, la méthode dite Kunrei shiki et même par une Shin Nippon shiki ou «nouvelle méthode japonaise». Depuis 1989, la méthode Kunrei shiki est la transcription internationale officielle. Cependant, dans les faits, c’est la transcription Hepburn qui est la plus utilisée hors du Japon et de plus en plus aussi à l’intérieur du pays. C’est cette cohabitation entre deux méthodes, l’une officielle, l’autre d’utilisation bien plus répandue, qui explique qu’au Japon, encore de nos jours, vous pouvez tomber sur des mots japonais retranscrits en rōmaji mais d’une façon difficile à lire: ainsi, bien des Japonais écrivent encore «Ti» ou «Tu» qu’il convient en réalité de lire «Tchi» ou «Tsu». Comme, par exemple, ce timbre dédié à ce linguiste et au bas duquel on peut lire «TANAKADATE AIKITU»…
 
Anecdote: si vous avez lu les publications précédentes de ce groupe, peut-être que le nom de 13346580_1195479127142588_5122126223488127812_n-2TANAKADATE Aikitsu vous aura interpelé. En effet, c’est le même homme qui, quelques années plus tard, est venu dans notre pays, il y a appris le français, il s’est ensuite spécialisé dans l’aéronautique et de retour au Japon, il a finalement aidé Yves LE PRIEUR à devenir le premier homme à faire voler un planeur au Japon le 9 décembre 1909. Un linguiste, donc, mais également un homme passionné par les sciences qui fut, à son époque, très largement reconnu comme tel: dans cette photo rare de droite, on distingue au second plan le grand Einstein qui le rencontra lors de son séjour au Japon. Et dont la vie fut particulièrement longue, né en 1856, il est décédé en 1952.
 
Une dernière remarque: les rōmaji ont donc été codifiés par un Américain puis par les Japonais. Voici à gauche 13346580_1195479127142588_5122126223488127812_n-3quelques exemples de retranscription du japonais selon les différentes méthodes. Mais de là découle une évidence que pourtant bien des Français n’ont toujours pas bien réalisée mais qui est suffisamment importante pour qu’elle soit écrite en majuscules : IL NE FAUT PAS LIRE LES RŌMAJI A LA FRANÇAISE !
Et donc, contrairement à ce que fait la quasi totalité des Français, quand on voit écrit Ōsaka (sachant par ailleurs que le petit trait horizontal qui surmonte la voyelle signifie qu’on est en présence d’un son long et qu’il faut le prononcer comme si cette voyelle était doublée), il ne faut pas lire ce mot «ozaka» mais bien comme s’il était écrit «oossaka», quand on voit écrit wasabi, il ne faut pas lire ce mot «wazabi» mais bien comme s’il était écrit «wassabi», ou quand on voit écrit bonsai, il ne faut pas lire ce mot «bonzai» (comme le font pratiquement tous les professionnels français eux-mêmes) mais bien comme s’il était écrit «bonssai». Une dernière erreur d’autant plus incompréhensible qu’en français, un «s» entouré de deux voyelles se lit «z» comme dans une «rose», mais qu’un «s» entouré d’une consonne et d’une voyelle (donc comme dans bonsai) se lit «s» comme dans… «consonne». On ne peut imaginer que cette façon erronée de lire ce mot est due à la prononciation, correcte cette fois, de ce mot japonais si célèbre, que l’on traduit par «vive…!» comme dans «Vive le Roi!» et qu’on écrit et qu’on lit bien banzai !
 
 
 
(C.Y.)