« Et quand je disais que le japonisme était en train de révolutionner l’optique des peuples occidentaux…» (Edmond de Goncourt, Journal, 19 avril 1884)
Le japonisme fut une mode, un engouement même, pour tout ce qui venait du Japon, en imitait le style, la manière. Mais une mode singulière qui dura près d’un demi-siècle, gagna tous les pays occidentaux depuis l’Angleterre et la France, et dont les manifestations furent des plus contrastées. S’il produisit, en effet, ce qu’on appela tout de suite des japoniaiseries du plus mauvais goût, il est pourtant indéniable qu’il participa aussi, et de très près, à cette véritable révolution du regard que connut l’Europe entre les années 1860 et le début du 20e siècle. Car ce qui distingue d’emblée le japonisme des vagues antérieures d’exotisme – chinoiseries du 18e siècle ou orientalisme du milieu du 19e siècle -, c’est qu’on le rencontre moins dans les milieux académiques ou officiels que chez les artistes en quête d’expressions nouvelles. Dans les estampes d’Hokusai, d’Hiroshige et de bien d’autres moins illustres, les peintres puis les graveurs découvrirent des propositions originales en matière de couleur, de dessin, de mise en page, de perspective ou de format qui, combinées à d’autres influences (celle de la photographie naissante, notamment), allaient produire des bouleversements radicaux dans l’ordre visuel. A ces sources lointaines, les arts décoratifs eux-mêmes puisèrent non seulement des motifs venant renouveler le répertoire de l’éclectisme ambiant, mais aussi des techniques et des solutions formelles inédites. L’onde de choc se propagea sans discontinuer de l’Impressionnisme à l’Art nouveau, se prolongeant encore jusqu’à l’Art déco au moins, certains auteurs choisissant de poursuivre cette histoire jusqu’aux abstractions d’après-guerre. »
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Que rajouter à l’introduction d’un document intitulé « Le Japonisme en France – De l’impressionnisme à l’Art déco » et proposé par la BNF pour tenter d’expliquer ce que fut ce qu’on appelle le Japonisme ? Pas grand-chose, sans doute.
Un point, cependant, que ce document ne permet peut-être pas de bien appréhender, c’est que cette « mode, cet engouement même » dont il parle ne concerna pas que les artistes et les grands noms de tous les arts, autrement dit l’élite artistique et intellectuelle de France, mais qu’elle gagna aussi le grand public et ce, dans des proportions considérables. Bien sûr, les quatre Expositions Universelles qui se tinrent à Paris et auxquelles le Japon participa favorisa à l’extrême la popularisation de sa culture auprès du public. Dans un ouvrage dédié aux frères GONCOURT et surtout à Edmond, le plus nippophile des deux, Brigitte KOYAMA-RICHARD évoque la présence de plus de cent salons de thé japonais dans le Paris du début des années 1900. Comme en témoignent de nombreuses peintures, les appartements des bourgeois parisiens et des grandes villes de province sont progressivement décorés d’objets et accessoires japonais de toutes sortes (paravents, éventails, vases, bibelots…), les femmes mais aussi parfois des familles entières s’habillent en kimono comme vêtement d’intérieur ou pour les fins de semaines.
Et un point en particulier apporte une preuve éclatante de cet engouement, c’est la « récupération » de cette mode par les entreprises et les marques pour leurs publicités. Et chacun sait que, si les « réclames » peuvent créer des modes, elles savent aussi profiter de ce qui plait le plus pour vanter leur produits. Voici, tout au long de cet articles, quelques exemples glanés ça et là sur internet, qui concernent aussi bien des établissements que des produits de consommation dont les marques sous lesquelles ils sont commercialisés existent encore de nos jours… !
Ce court article est donc un témoignage, à l’intention des plus jeunes générations qui l’ignoreraient, celui que la « mode » actuelle du Japon à travers ce que l’on appelle « Cool Japan », cette culture dite contemporaine des manga, jeux vidéo, anime, la « Jpop » et autre cosplay, comme l’engouement grandissant des Français pour la gastronomie japonaise (et pas seulement les sushi et les yakitori) ainsi que pour les différents aspects de la culture plus traditionnelle ou encore la « percée » plus qu’impressionnante en quelques décennies des arts martiaux japonais dans notre pays, toute cette mode, qui en vérité n’en est plus une mais est devenue composante faisant totalement partie intégrante de la vie quotidienne de millions de Français, a été précédée d’un autre engouement qui débuta il y a un siècle et demi, qui dura plus de cinquante ans et qui fut au moins de même ampleur et peut-être plus important encore. Et gageons que si internet avait existé à cette époque, le visage de la France, de l’Europe et du monde occidental en aurait surement été changé.
Terminons en précisant que vous pouvez retrouver l’intégralité de ce document de la BNF qui offre une bibliographie sélective tout à fait impressionnante des ouvrages traitant du japonisme : on peut affirmer, sans crainte d’être contredit, que les plus passionnés, les plus pointus et les plus exigeants en matière de japonisme y trouveront leur bonheur. Et que tout un chacun pourra y trouver les indications suffisantes pour s’informer et même se spécialiser dans tel ou tel domaine artistique, alors même que se prépare déjà, pour 2018 et début 2019, l’un des principaux évènements commémorant le 160ème anniversaire de la signature du « Traité d’amitié et de commerce entre la France et le Japon » aura justement pour nom « Japonismes 2018 : les âmes en résonance », une série d’événements pendant près de 9 mois voulus et organisés en France par le gouvernement japonais lui-même avec l’aide et le soutien des plus hautes autorités ministérielles françaises.
(C.Y.)