Henri VEVER fut un célèbre bijoutier-joaillier parisien mais aussi écrivain et un collectionneur d’art. Si son nom est associé à l’Art Nouveau, il fut également un japonisant convaincu et de renom.
En cette année 2018 dédiée aux commémorations franco-japonaises, un livre qui lui est consacré et intitulé « Henri Vever – Champion de l’Art nouveau » par Willa Zahava SILVERMAN a été publié en janvier aux Edtions Armand Colin. Voici le texte de présentation qui l’accompagne:
« En 1898, le célèbre bijoutier-joaillier de la rue de la Paix, Henri Vever tient un journal. Promoteur de l’Art nouveau, il partage la ferveur pour ce « modern’style » de son contemporain René Lalique. Amateur d’art de renom, il fréquente les marchands et les collectionneurs les plus en vue. Vever est surtout un japonisant passionné.
1898 marque aussi un tournant politique. Vever suit de près l’affaire Dreyfus et se montre résolument anglophobe et américanophobe quand éclatent la crise de Fachoda et la guerre hispano-américaine. Friand des nouvelles « merveilles » techniques de son temps, il apprécie les photographies en couleurs des frères Lumière et le phonographe. Ce bourgeois parisien aisé assiste à une répétition de Cyrano de Bergerac, déguste des glaces au Café Napolitain, monte à bicyclette au bois de Boulogne, consulte des voyantes…
Cette chronique fascinante de la vie parisienne au seuil du XXe siècle constitue un témoignage précieux sur un moment charnière, pleinement vécu comme tel par un homme dynamique introduit dans les milieux parisiens les plus variés ».
Dominique KALIFA, pour le journal Libération, lui consacre un article dont voici la teneur:
« HENRI VEVER, JOYAUX FIN-DE-SIÈCLE
Un passionnant portrait de ce bijoutier parisien, mondain et curieux, dont les carnets montrent l’intérêt pour le style Art nouveau.
Moins célèbre que René Lalique ou Siegfried Bing, Henri Vever, «le joaillier parisien bien connu», comme l’écrit le Figaro en janvier 1898, fut pourtant l’une des grandes figures de l’Art nouveau, à la fois créateur, collectionneur et auteur d’un livre de référence sur la Bijouterie française au XIXe siècle. Amateur des impressionnistes, il fut aussi l’un des principaux promoteurs du japonisme en France. Ses propres créations, primées lors des Expositions internationales (à Moscou en 1891, Chicago en 1893, Bruxelles en 1897), firent de lui un des acteurs phares de la vie artistique du temps, membre de dizaines de cercles ou de sociétés, et l’un des ordonnateurs de l’Expo parisienne de 1900. Vever dessinait, bien sûr, mais il écrivit aussi beaucoup, des carnets et des notes journalières qui sont aujourd’hui déposés à la Freer Gallery of Art et au Smithsonian Institut de Washington, où les a retrouvés l’historienne américaine Willa Silverman. Le passionnant volume qu’elle publie aujourd’hui retrace une année clé de la vie du bijoutier – 1898 -, où se dévoile toute l’intimité d’un notable de l’art fin-de-siècle.
Plan de table.
Lorsque s’ouvre cette année, Henri Vever a 44 ans et affiche une immense satisfaction. «Pour mes étrennes, je viens d’être décoré», fanfaronne-t-il. On est frappé de l’extrême importance que revêt cette «boutonnière rougissante» : lettres, cartes, cadeaux et visites de félicitations, bientôt suivis du même train de remerciements. Car Vever est un mondain, représentant de cette «classe de loisir» que le sociologue Thorstein Veblen théorise cette même année, et ses carnets abondent de notations sur ce qu’est le high life parisien. Des dîners en ville presque tous les soirs, parfois si somptueux qu’il ne peut s’empêcher de noter le menu ou le plan de table. Des spectacles à foison : il va applaudir deux fois le Cyrano de Rostand au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, l’immense succès de cette année 1898, mais fréquente aussi régulièrement la Comédie-Française, les Variétés et bien sûr l’Opéra. Vie sociale et vie familiale, qui tendent à se recouvrir (on ne compte plus les mariages et les enterrements auxquels il assiste) occupent une large place de son activité. Comme tout bon notable, Vever dispose d’une résidence secondaire à Noyers, dans l’Eure, où il passe l’été et organise des chasses à l’automne.
Il travaille cependant, passe beaucoup de temps dans les ventes, à Drouot et chez les marchands d’art. Il écrit et dessine également : «Je pioche toute la journée pour tenter de faire des dessins Art nouveau-Nouveau Style». S’il ne croit guère en ses propres talents, il est sûr néanmoins que le style qu’il défend, «un peu filamenteux […] genre cursif, calligraphique, entrelacesque», est d’avenir. Il aime Lalique, Grasset, Chéret, tout comme Tiffany et Liberty à l’étranger, et il est sûr que l’année 1900 les portera au zénith. «J’ai la conviction que nous sommes à une époque très rare, j’allais dire unique, pour la production d’œuvres d’art nouvelles.» En attendant, il vend aux grands de ce monde, cherche à s’installer rue de la Paix et se passionne pour «les formes les plus hautes de l’admirable art japonais», estampes et kakémonos, paravents, laques, bronzes et gardes de sabres.
Culte de la bicyclette.
Mais c’est leur franchise qui fait surtout la force des carnets de Vever : aléas politiques, tensions familiales et pensées privées s’y étalent tout aussi librement que ses considérations sur l’art. Faut-il s’étonner que ce bourgeois messin, dont les parents ont opté pour la France en 1871, affiche des opinions cocardières et revanchardes ? Comme d’autres, il aime complimenter les généraux qui paradent à la revue, professe une vive anglophobie et tient les Américains pour des «mufles». L’affaire Dreyfus, qui atteint alors son paroxysme, le navre tout particulièrement. Nul doute à ses yeux que Dreyfus est un traître, ainsi que ceux qui mettent en doute la parole de l’armée. Quant à Zola, il «vomit des matières fécales». L’effervescence extrême que suscite l’affaire le remplit d’effroi, mais l’annonce de la révision l’ébranle tout autant : s’il y a vraiment eu erreur, c’est une «effroyable chose». Car Vever, bourgeois raide tout autant qu’artiste, est aussi un homme de devoir. Son mariage a beau être un fiasco – son épouse se refuse à lui depuis longtemps -, il ne veut ni divorcer ni lui être infidèle. Ces jeunes femmes si vives, si attrayantes, qu’il croise dans la rue sont autant de supplices. «Ah ! pourquoi avons-nous un sexe ! Pourquoi souffrir ainsi… Mais je ne veux pas céder, je ne céderai pas.»
Heureusement, il lui reste le plaisir suprême, celui de la bicyclette, à laquelle il voue un véritable culte. Au vrai, toutes les innovations techniques le fascinent. Il aime téléphoner, apprécie les photos couleur et fréquente l’Express Bar du boulevard des Italiens (on y introduit des pièces pour se faire servir un bock, un café ou une coupe de champagne). Mais, pour cet homme aux principes si austères, la bicyclette est plus que cela : elle est la liberté absolue. Il l’enfourche par tous les temps, pluie, vent ou brouillard, et avale les kilomètres. On le voit «au bois», presque chaque matin, à Vaucresson, au Vésinet, le long de la vallée de Chevreuse où il se saoule «d’air et de soleil». Un matin, il suit les bords de Seine jusqu’au Havre : «220 kil. Sans grande fatigue.»
Pourtant, en dépit de ces plaisirs ou de son évidente réussite professionnelle, sa vie semble parfois lui peser lourdement. Est-ce pour cela qu’il multiplie les visites chez les voyantes, la pythonisse, qu’on disait élève de Charcot, Mme Bailly, «grande spécialiste du marc de café», Mme de Thèbes, la cartomancienne de l’avenue Wagram, puis Mme Lenormand, la tireuse de cartes ? «J’y entre et me fais raconter des histoires pour mes cent sous», note-t-il pour se dédouaner. Peut-être y cherchait-il davantage.
Dominique Kalifa
Willa Z. Silverman Henri Vever, Champion de l’Art Nouveau Armand Colin, 378 pp., 26,90 €. »
Lien vers l’éditeur Armand Colin: < ici >
Lien vers l’article de Libération: < ici >
(C.Y.)
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