Alexandre MARCEL est perçu comme l’un des derniers représentants français du japonisme, c’est-à-dire d’un Japon plus rêvé que réel, vu sous l’angle du pittoresque et du dépaysement. Pourtant, et ce malgré une brillante carrière au service des plus grands, cet architecte reste relativement peu connu en France, peut-être parce que l’essentiel de ses œuvres se trouvent à l’étranger.
 
Né à Paris le 11 septembre 1860 d’un père d’architecte, Alexandre MARCEL (photo de droite) entre à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1877, et y décroche son diplôme en 1882 en présentant un projet d’ « Hôtel pour la Société Centrale des Architectes ». Rapidement apprécié des jurys officiels pour son style académique, il remporte un certain nombre de concours publics, en France mais aussi à l’étranger (Premier prix à Bucarest pour le palais du Sénat en 1890, et pour la gare centrale en 1893).
 
Au début de sa carrière, Alexandre MARCEL s’engage dans plusieurs chantiers de restauration. Lancés à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, ces grands projets soutenus par le gouvernement séduisent alors nombre d’architectes fraîchement diplômés. Dès 1885, MARCEL collabore avec Albert-Jean LAFON pour le relevé et la restauration de l’hôtel de Bourgtheroulde à Rouen, édifice du XVIe siècle. Parmi ses autres restaurations, il faut citer le château médiéval de Tonquedec (Côtes-du-Nord), le château de Bouffémont (Val-d’Oise) ou encore la cathédrale d’Auch (Gers), dont les dates de chantier demeurent malheureusement non fixées.
 
Entre 1896 et 1898 environ, il est chargé de restaurer et décorer le château de Maulévrier (Maine-et-Loire). Après avoir épousé Madeleine BERGÈRE l’année suivante, fille du propriétaire du domaine, MARCEL habite lui-même la résidence où il continue d’œuvrer en tant que paysagiste. Parmi la centaine d’espèces d’arbres qu’il plante entre 1900 et 1903, les trois-quarts proviennent d’Extrême-Orient, constituant un riche arboretum exotique. Le jardin est ponctué de plusieurs fabriques d’inspirations diverses : répliques d’architectures khmers, « pagode » de style anglo-normand, pont japonais et portail rouge imitant un torii shinto (photo de gauche).
 
Jusqu’en 1900, Alexandre MARCEL reçoit surtout des commandes parisiennes. En 1893, il s’engage dans la construction de bains publics turco-mauresques rue de Babylone, complexe qui a malheureusement été détruit (seuls subsistent des dessins). Deux années plus tard, en 1895, le propriétaire du Bon Marché François-Emile MORIN lui commande une salle de fêtes japonisante attenant à son hôtel particulier situé rue de Babylone. Convertie en cinéma en 1931, elle est aujourd’hui connue sous le nom « La Pagode » (photo de droite – plus de détails sur cet édifice dans un prochain article consacré à La Pagode).
 
La carrière d’Alexandre MARCEL prend une dimension internationale au cours de l’Exposition universelle de 1900 organisée à Paris : pour l’occasion, il conçoit le panorama dit « Le tour du monde » – commandé par la Compagnie des Messageries Maritimes – et le pavillon du Cambodge. Grâce à ces deux projets, il remporte le Grand Prix ainsi que la distinction de chevalier de la Légion d’honneur. Se voulant une illustration architecturale du voyage visuel proposé à l’intérieur, « Le Tour du Monde » se compose d’un bâtiment central quadrangulaire flanqué de quatre tours d’angle : tour indienne, tour japonaise, tour portugaise et tour islamique (photo de droite). L’ensemble est précédé d’un porche en bois sculpté authentiquement japonais, commandé à Yokohama. A l’intérieur, le public peut découvrir trois étages: au rez-de-chaussée, un diorama mobile et un théâtre de trois cents places, à l’entresol deux niveaux de dioramas, et au premier étage un panorama. Les tableaux en trompe-l’œil exécutés par le peintre Louis DUMOULIN illustrent les itinéraires des paquebots de la Compagnie des Messageries Maritimes sur la ligne France – Extrême-Orient.
 
Gigantesque attraction s’étalant sur environ 2500 m2 et culminant à 45 m de hauteur, « Le Tour du Monde » marque fortement les esprits des contemporains. Elle n’échappe au roi de Belgique Léopold II venu visiter l’exposition, particulièrement intéressé par la tour japonaise et le porche d’entrée du monument. Séduit par cette architecture asiatique, il demande à MARCEL d’élaborer un projet analogue pour son parc à Laeken, près de Bruxelles. L’architecte imagine alors un complexe composé de quatre édifices : une Tour japonaise, un Pavillon chinois, un kiosque et une dépendance (photo de gauche). Achevée en 1905, la Tour japonaise (photo de droite) s’inspire des pagodes bouddhiques tout en prenant de nombreuses libertés par rapport à ce modèle : elle comporte six étages tandis que les pagodes adoptent toujours un nombre de niveaux impair, et un escalier a été aménagé en son cœur alors que les pagodes en sont dépourvues. En revanche, MARCEL a tenu à avoir recours uniquement au bois, à l’exemple des architectures nippones. La Tour japonaise est précédée du même porche qui introduisait l’attraction « Le Tour du monde » en 1900, démonté et remonté à l’identique pour le compte du roi Léopold II. D’autres pièces décoratives ont été commandées spécialement à Yokohama : ornements métalliques, bois sculptés polychromes, tentures, lanternes en pierre et en bronze.
 
En 1913, MARCEL est chargé par le gouvernement français d’édifier l’ambassade de France à Tōkyō . Son projet d’y allier deux répertoires : français néoclassique pour l’ambassade (où se trouvent les bureaux et logements des représentants français), et japonais pour le quartier d’habitation des Tokyoïtes. La guerre suspend malheureusement le chantier avant son achèvement, mais cette commande aura été l’occasion pour MARCEL de séjourner en Chine et au Japon. Ces voyages en Asie sont les seuls attestés car documentés, mais ils ne sont peut-être pas les premiers. MARCEL avait en effet obtenu une bourse de voyage en 1885, et la destination qu’il choisit à cette époque reste aujourd’hui encore un mystère.
 
Passant aisément d’un exotisme à un autre, Alexandre MARCEL ne s’est donc pas borné au style japonisant : il savait s’adapter aux désirs de ses commanditaires, qui souhaitaient avant tout être transportés dans un ailleurs fantasmé. C’est pourquoi ses œuvres se montrent souvent peu fidèles aux modèles et normes de constructions étrangères, fonctionnant davantage à la manière de trompe-l’œil par un jeu sur le décor et le revêtement. Cette opposition façade-plan, fréquente chez Alexandre MARCEL, est tout à fait caractéristique d’une certaine architecture du XIXe siècle, notamment celle, éphémère, des expositions universelles.
 
 
Note
La chronologie de l’œuvre d’Alexandre MARCEL demeure incertaine : si l’architecte a lui-même pris soin de dater ses travaux, ces datations sont paradoxalement souvent inexactes ou approximatives.
 
Références
Alexandre Marcel, Orientalisme et architecture contemporaine, Paris, s.n., 1924.
Chantal Kozyreff, Songes d’Extrême-Asie : la tour japonaise et le pavillon chinois à Laeken, Anvers, Fonds Mercator, 2001.
 
 
 
(A.S.)
 
 
Retour sur la page du sommaire du dossier Japonisme: < ici >