« Mon plus beau chef-d’œuvre, c’est mon jardin » Claude MONET
 
Haut-lieu de l’impressionnisme, Giverny est surtout connu en tant que dernier lieu de résidence de Claude MONET (1840-1926), l’un des représentants les plus fameux et les plus brillants de ce mouvement pictural qui contribua largement au phénomène du japonisme.
 
C’est en 1883 que le peintre découvre ce village situé aux portes de la Normandie, sur la rive droite de la Seine. Il y loue la « maison du Pressoir » et s’y installe avec compagne et enfants. Propriétaire sept ans plus tard, MONET transforme de jour en jour sa maison (photo de gauche), et se passionne jusqu’à l’obsession pour les plantes et les fleurs. Il entreprend alors la création de deux jardins : un jardin fleuri devant la maison surnommé le « Clos Normand » ; puis, à partir de 1890, un jardin d’eau dit « japonais » situé au-delà de la voie de chemin de fer – aujourd’hui remplacé par la route nationale – relié au premier par un passage souterrain. En voici le plan sur l’illustration de droite.
 
 
Le Clos Normand
 
Lorsque MONET s’établit à Giverny, la propriété comprend déjà un jardin d’un hectare qui s’étend face à la maison. Rapidement, le peintre s’attelle au réaménagement du terrain et conçoit un plan symétrique structuré par de longues allées. Il conserve l’allée central qui mène du portail à la porte d’entrée de la maison, mais fait abattre les épicéas et leur substitue les arceaux métalliques encore en place aujourd’hui, qu’il borde de plantes grimpantes, de capucines et de roses (photo de gauche, « La roseraie à Giverny », photographie anonyme, 1921, Paris, Musée d’Orsay). Les pommiers originels sont remplacés par des cerisiers et des abricotiers du Japon, et les massifs de fleurs viennent structurer le reste du jardin.
 
MONET se passionne pour la botanique, et n’hésite pas à faire venir de l’autre côté du globe des bulbes ou jeunes pousses de variétés rares : « Tout mon argent passe dans mon jardin » confie-t-il. Il mêle cependant volontiers espèces précieuses et communes, dans un souci de variété : tulipes, iris (en photo à gauche, « Le jardin des iris à Giverny », huile sur toile, 1899-1900, New Haven Yale University Art Gallery à droite), orchidées, jonquilles, pavots, dahlias, pivoines, narcisses, pensées, etc. L’ordonnancement de ces espèces végétales est savamment pensé afin d’opérer des jeux formels et chromatiques, MONET ayant opéré à la manière d’un peintre. Georges CLEMENCEAU, fidèle ami de l’artiste (photo de gauche, Clemenceau et Monet, juin 1921), écrit à ce propos : « Le jardin de Monet compte parmi ses œuvres, réalisant le charme d’une adaptation de la nature aux travaux du peintre de la lumière. Un prolongement d’atelier en plein air, avec des palettes de couleurs profusément répandues de toutes parts pour les gymnastiques de l’œil, au travers des appétits de vibrations dont une rétine fiévreuse attend des joies jamais apaisées ».
 
 
Le « jardin japonais » ou jardin d’eau
 
A l’inverse du Clos Normand qui lui fait face, le jardin d’eau s’organise en courbes et asymétries, autour d’un bassin alimenté grâce à la déviation d’un bras du Ru. Il fut creusé en 1893 par MONET malgré l’opposition de ses voisins paysans, le peintre en ayant formulé la demande auprès de la préfecture. Le bassin est couvert d’un manteau de nénuphars blancs et roses, les célèbres nymphéas auxquels MONET a consacré ses dernières toiles (en photo à gauche, 1921, Paris, Musée d’Orsay, « Nymphéas », huile sur toile, 1914-1919, Paris, Musée Marmottan-Monet à droite). On raconte que tous les matins, avec le lever du peintre, un jardinier était chargé de nettoyer méticuleusement les nénuphars souillés par la suie des trains qui passaient, et ce jusqu’à ce qu’ils soient immaculés. Le reste du jardin d’eau est planté de peupliers, de saules pleureurs, d’une forêt de bambous, de ginkgos, de pommiers et cerisiers du Japon. Certaines de ces espèces furent apportées directement du Japon par des visiteurs du peintre, telle la princesse japonaise MATSUKATA et son mari, qui lui offrirent des pivoines arbustives et des lys. Malgré cette végétation à dominante extrême-orientale, MONET nie avoir été influencé par la mode des jardins anglo-japonais, son objectif étant avant tout de créer un environnement propice à l’inspiration artistique et au travail sur le motif : « L’aspect général du jardin, surtout le petit pont vert, lui a fait donner dans le pays le nom de « jardin japonais ». M. Hayashi, commissaire du Japon à l’exposition de 1900, fut, lui aussi, frappé de cette ressemblance, que Monet déclare n’avoir point cherchée. Son amour du Japon est pourtant profond. » (Maurice KAHN, « Le jardin de Claude Monet », Le Temps, 7 juin 1904)
 
Contrairement à la plupart des jardins japonisants de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, celui de Giverny est d’ailleurs dépourvu de toute fabrique, pavillon et autre lanterne. Seules pièces d’architecture, six ponts et passerelles enjambent le bassin de part et d’autre. Parmi eux, le fameux « pont japonais », surnommé ainsi en raison de sa forme arquée et de son garde-corps, et qui constitue à partir de 1897 le sujet de 45 tableaux de MONET (en photo à gauche, « Le Pont japonais », huile sur toile, 1899, Londres, National Gallery à droite). La construction de ce pont aurait débuté dès l’aménagement du bassin, entre 1893 et 1894, et aurait été assurée par un artisan local. Peu soucieux d’une fidélité absolue aux traditions nippones, Monet le fait peindre en vert – dans un authentique jardin japonais, le pont aurait été rouge ou marron (couleur bois naturel). Il le complète en 1905 par une armature afin de stimuler la croissance de la glycine, idée qui lui aurait peut-être été inspirée par une estampe comme le suggère John HOUSE : « Le pont suggère d’évidentes comparaisons avec le Japon – par exemple, avec les « Glycines au Pont de Drum de Hiroshige », une estampe que MONET pourrait très bien avoir connue bien qu’on n’en ait pas trouvé de copie dans sa collection d’estampes. » (« Claude Monet au temps de Giverny », catalogue d’exposition 6 avril – 17 juillet 1983, Paris, centre culturel du Marais, 1983, p. 152. Il s’agit en fait d’une estampe connue en France sous le titre « À l’intérieur du sanctuaire Kameido Tenjin » (1857), photo de gauche).
 
 
Giverny aujourd’hui
 
Après la mort de MONET, le jardin de Giverny se dégrada progressivement faute d’entretien.
La restauration de l’ensemble de la propriété débuta cinquante ans plus tard, en 1977, entreprise par le conservateur Gérald VAN DER KEMP, et s’acheva en 1980. Le pont japonais n’étant plus réparable, une réplique exacte fut construite par une entreprise de Vernon en bois de hêtre. Cette longue campagne de restauration, qui s’accompagna d’un travail de recherche sur le plan du jardin et les espèces botaniques du temps du peintre, permit au site de retrouver son lustre d’antan.
 
Giverny est aujourd’hui devenu un haut lieu de mémoire pour l’œuvre de Claude MONET (photo de droite: Jacques-Ernest BULLOZ, « Monet près du bassin aux Nymphéas », photographie, été 1905, Paris, Musée d’Orsay) et plus généralement pour le mouvement impressionniste. Jamais encore un peintre n’avait à ce point façonné son motif dans la nature : peintures vivantes, changeant au fil des jours et de la marche du visiteur, les jardins de Giverny récapitulent et intensifient les propriétés de l’art de Monet, qu’il s’agisse du goût pour le travail sur le motif, les recherches sur la lumière fluctuante et les effets d’eau, ou son admiration pour le Japon.
 
Pour marquer le passage à l’an 2000, le Japon décide de rendre à son tour hommage à MONET en créant une réplique exacte sur jardin de Giverny à Kitagawa, sur l’île de Shikoku. Le projet est mené en collaboration avec la Fondation Claude MONET et son jardinier en chef, Gilbert VAHE, qui aide l’équipe locale à opérer une reconstitution fidèle en s’adaptant au climat de l’archipel. Nommé « Jardin de Monet Marmottan » (site internet même en français!), ce lieu rencontre un franc succès dès la première année d’ouverture, accueillant 200 000 visiteurs japonais et internationaux.
 
 
Bibliographie
BOCQUILLON-FERRETTI Marina, « Le jardin de Monet à Giverny : l’invention d’un paysage », (catalogue d’exposition, Giverny, Musée des impressionnismes, 1er mai-15 août 2009), Giverny, Musée des impressionnismes, 1er mai-15 août 2009
CLEMENCEAU Georges, « Claude Monet », Paris, Perrin, 2000.
GOETZ Adrien, « Monet à Giverny, Gourcuff Gradenigo » / Fondation Claude Monet, 2015
HOLMES Caroline, « Monet : Le jardinier impressionniste », Paris, Gründ, 2002
 
 
 
(A.S.)
 
 
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