Alors que de multiples événements se dérouleront un peu partout en France ainsi qu’au Japon, commémorant le 150ème anniversaire de la Restauration de Meiji ainsi que le 160ème anniversaire du « Traité d’amitié et de commerce entre la France et le Japon », sans oublier la CCI France Japon qui fêtera son centenaire, la ville de Reims a toutes les chances de connaître des festivités particulières. En effet, Reims et Nagoya ont annoncé la signature de leur jumelage en mai 2018. Un jumelage particulièrement chargé de symboles qui, tombant lors de la 160ème année de la signature du Traité d’amitié, témoigne que celui-ci est toujours d’actualité.
Et si nous évoquons ici ce jumelage, c’est que, s’il a pour origine un rapprochement culturel autour du célèbre peintre Léonard FOUJITA (qui a notamment décoré « la Chapelle Foujita » au cœur de Reims, photo de gauche), peintre naturalisé français d’origine japonaise qui arriva en France l’année suivant la fin de l’ère Meiji et dont les héritiers de son épouse ont fait une donation importante de ses œuvres à la ville de Reims comme le rappelle la CCI France Japon, il se trouve que les relations entre Reims et le Japon sont beaucoup plus anciennes et remontent à l’ère Meiji. C’est en effet à cette époque que deux Rémois se rendirent au Japon, deux voyageurs qui bénéficient d’une vraie reconnaissance locale mais qui sont malheureusement trop méconnus au niveau national. Nul doute que leur nom seront rappelés au bon souvenir de tous en 2018.
Le premier s’appelle Hugues KRAFT. S’il est né à Paris en 1853 et qu’il est d’origine allemande, KRAFT est un vrai Rémois d’adoption puisqu’il s’y installa avec ses parents à la naissance de sa sœur en 1855. Et s’il fut connu pour être un grand voyageur, c’est bien aussi à Reims qu’il quittera ce monde en 1935.
Hugues KRAFT eut la chance de naître dans une famille plus qu’aisée. Son père est un associé de Louis ROEDERER, et sa mère, Emma MUMM, n’est autre que la cousine de Jules MUMM, le fondateur de la maison de Champagne rémoise du même nom. Il fréquenta aussi le prestigieux collège d’Eton, réservé à la haute société anglaise ainsi qu’aux membres masculins de la famille royale britannique. Son père décèdera alors qu’il n’a pas 25 ans, suivi par la disparition de sa mère, 3 ans plus tard. KRAFT hérite alors d’une grande fortune qui va lui permettre d’assouvir sa soif des grands voyages dans des contrées lointaines. C’est ainsi qu’il passera notamment par le Japon entre 1882 et 1883 (photo de gauche). Un séjour qui nous est connu grâce à une autre passion : la photographie. Il fut d’ailleurs l’un des tous premiers étrangers à « importer » la photographie dite instantanée au Japon, et son statut d’homme du monde lui ouvrit vraisemblablement de nombreuses portes au Japon, puisqu’il put, entre autres, photographier des hautes personnalités japonaises comme SAIGŌ Tsugumichi, frère du très célèbre SAIGŌ Takamori et haut dignitaire du Japon sous l’ère Meiji, que l’on voit dans la photo de droite au coté du grand photographe Felice BEATO, sans doute le plus connu des photographes étrangers au Japon où il résida et travailla de 1863 à 1884. Bien que son séjour au Japon ne dura qu’environ 5 mois, KRAFT en a rapporté de très nombreuses photos très variées qui illustrent les ouvrages de multiples auteurs qui se sont aussi, à cette époque, intéressés au Japon. Un recueil lui est aussi consacré, réalisé par Suzanne ESMEIN (photo de gauche).
Le second Rémois mérite sans doute encore plus une reconnaissance nationale. Il s’appelle Alfred GERARD, il est né et décédé à Reims (1837-1915). Un Rémois « pure souche » donc. Son père y tenait une boulangerie. On sait de la jeunesse d’Alfred qu’il commença à travailler dès l’âge de 14 ans, qu’il perdit sa mère à l’âge de 22 ans. Et c’est suite au remariage de son père 3 ans plus tard qu’il a dû se sentir un peu comme « étranger » dans cette nouvelle famille et qu’il a décidé de partir. Loin. Et c’est ainsi qu’il débarque en septembre 1863 à Yokohama. Il y séjournera pendant 15 ans pour ne revenir en France qu’en 1878.
Issu d’un milieu plutôt modeste, il semble que tout ne soit pas très clair sur la provenance dès moyens qui lui permirent, à son arrivée, d’acquérir deux concessions à Yokohama, ou encore de débuter une activité commerciale. Homme d’affaires avisé, on sait toutefois qu’il réussit en important des produits français (ou autres?) tels que du champagne (bien sûr) mais aussi de la farine, des saucisses ou encore des biscuits. On a en effet retrouvé, dans plusieurs numéros du « Japan Herald » de 1863, des publicités ventant la qualité de ses produits. Et l’on sait aussi que, ses concessions comportant des sources, il fit le commerce de l’eau avec la Marine française notamment, mais sans doute aussi les marines étrangères, dont les bateaux en partance devaient faire le plein. Et rapidement, « l’eau Gérard » acquit une solide réputation locale, elle était réputée être d’une très bonne qualité et ne s’avariait pas pendant des mois.
Cependant, c’est dans l’industrie qu’Alfred GERARD a bâti sa réussite et sa fortune au Japon, et ce dans un domaine très particulier : celui de la fabrication des tuiles et des briques. On raconte que les toits des maisons des Japonais, et en particulier celles des concessions étrangères de Yokohama, étaient recouverts de tuiles de fabrication locale, mais qu’elles avaient le défaut de ne pas être très résistantes au vent qui soufflait souvent un peu fort dans ce port. Alfred GERARD eut alors l’idée de rapporter de France des tuiles plus performantes face à ce genre d’intempéries et entreprit de les fabriquer sur place (photo de droite). Ce fut très rapidement un grand succès, associé à la fabrication de briques ou de tuyaux qui lui permirent de réaliser aussi des canalisations d’eau très performantes. Certains assurent même que c’est Alfred GERARD qui fut à l’origine du fort développement que connurent ces matériaux dans le Japon de l’ère Meiji. Un développement tel qu’il fut obligé, pour tenter de répondre à une très forte demande, de passer d’un mode de fabrication relativement artisanal à une production industrielle de masse, grâce à des machines importées de France. Ce qui assura un temps sa fortune, mais qui au fil du temps, contribua aussi à son (relatif) déclin. En effet, ces machines lui avaient coûté très cher, et d’autres part une concurrence locale s’était développée, qui fabriquait « à l’ancienne » et donc à moindre coût. Sa santé se trouvant altérée, c’est sans doute pour ces deux raisons qu’il décida, en 1878, de quitter ce Japon qui lui avait permis de faire fortune et d’y constituer une importante collection d’objets d’art qu’il rapporta à Reims.
Le succès d’Alfred GERARD fut tel qu’il participa à de très nombreux chantiers de Yokohama, dont certains existent toujours. Et il paraît même que, lors de travaux actuels notamment liés à l’immobilier, on retrouve encore de nos jours, enfouies dans le sol, des tuiles – ou des morceaux de tuiles – estampillées « Alfred GERARD » !
Parmi les réalisations qui sont toujours visibles de nos jours, les plus connues et qui font l’objet de visites touristiques sont le bâtiment des machines de la piscine du Parc Motomachi (photo de gauche) dont le toit est toujours couvert de « tuiles GERARD » ainsi qu’une canalisation en briques à ciel ouvert, au cœur de la ville (photo de droite). Plusieurs plaques commémoratives évoquent la vie d’Alfred GERARD ainsi que les techniques utilisées pour la fabrication de ces briques.
Mais peut-être que le plus extraordinaire et le plus surprenant concernant Alfred GERARD se trouve en France. Plus précisément dans la commune de Bezannes, limitrophe de Reims et qui accueille la gare Champagne-Ardenne TGV. A quelques encablures à peine, se trouve le cimetière où repose Alfred GERARD. Si vous vous y rendez, impossible de rater sa tombe. Et pour cause… (photo de gauche) : une vraie curiosité ! Pour tous ceux qui auraient des doutes sur l’influence qu’eût le Japon et ce séjour de 15 années sur ce grand Rémois, elle leur apporte un démenti spectaculaire !
Un Rémois qui, localement, est plutôt bien reconnu : en 1891 et en 1897, il fit don de son importante collection au Musée des Beaux-Arts de Reims, une collection toutefois peu visible aujourd’hui car conservée dans la réserve du Musée Saint-Rémi. De plus, il existe une fondation Alfred GERARD, une école élémentaire publique SNCF/ALFRED GERARD située au 1, rue Alfred Gérard…
Un Rémois qui, comme Hugues KRAFT, mérite assurément que son nom soit plus connu de tous les Français. Le futur jumelage de Reims avec une très grande ville japonaise, Nagoya en l’occurrence, qui, célébré la 160ème année d’un traité instaurant la paix, l’amitié et la possibilité de commercer, en constituera surement la meilleure des opportunités.
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Mise à jour nov. 2017
Le jumelage annoncé connaîtra deux phases de signatures. Et si, comme écrit plus haut, Reims accueillera une délégation japonaise en mai 2018 pour une cérémonie célébrant cette nouvelle relation privilégiée entre les deux villes, Nagoya a reçu la ville de Reims représentée par son Maire et la première signature officialisant le jumelage a été signé le 17 novembre 2017.
(C.Y.)