Parmi tous ces Français bien plus connus au Japon que dans leur propre pays (nous en voulons pour preuve objective qu’ils ont une page Wikipédia à leur nom en japonais mais pas en français…), évoquons le souvenir de Léon DURY, qui fut un médecin, un diplomate et un enseignant au Japon dans lequel il séjourna près de 17 ans.
 
Il y arrive en 1860, à l’âge de 38 ans. Né à Lambesc, dans les Bouches-du-Rhône, il a fait des études de médecine, et il a entre autres contribué à soigner beaucoup de ses concitoyens lors de la grande épidémie de choléra en 1854.
Dès l’année suivant son arrivée au Japon, Léon DURY (photo de droite) est nommé chirurgien directeur de l’hôpital de Hakodate par le gouvernement shogunal qui prévoit la construction d’un nouvel hôpital dans cette ville. Mais ce projet sera finalement abandonné.
 
L. DURY est alors nommé consul de France à Nagasaki par M. Gustave DUCHESNE de BELLECOUR, premier représentant français au Japon, de 1859 à 1864, à la suite de la signature du Traité de paix, d’amitié et de commerce entre la France et le Japon en 1858. Il assure ses fonctions jusqu’en 1866. Parallèlement à ces activités diplomatiques, DURY commence à enseigner la langue française et c’est ainsi qu’il crée, en 1865, une école baptisée France no gogakujuku (Ecole privée de langue française).
 
En 1867, il rentre un temps en France, il a été prié d’accompagner la délégation officielle japonaise à l’Exposition Universelle de 1867. De retour au Japon, il cumule ses fonctions de professeur à Nagasaki et celle de Directeur de l’école qui vient d’être crée à Kyōto pour l’enseignement du français (photo de gauche: au centre, entouré de ses élèves japonais). Cette école fut rattachée à l’Université de Kyōto en 1871. En 1874, Léon DURY est cette fois à Tōkyō, il occupe la chaire de langue et de littérature françaises dans une école appelée Kaisei Gakkō qui, trois ans plus tard, fusionnant avec l’Université de Médecine de Tōkyō, donnera naissance à la très célèbre Tōkyō Daigaku ou Tōdai (Université de Tōkyō).
C’est cette même année, en 1877, que Léon DURY quitte définitivement le Japon et s’en retourne en France. Mais il conserve des liens forts avec ce pays en étant nommé Consul honoraire du Japon jusqu’à sa mort en 1891 à Marseille. Il repose dans la sépulture familiale au cimetière de Lambesc, édifiée grâce à une importante participation financière des Japonais reconnaissants.
 
A la lecture de ce parcours, on pourrait être tenté de le considérer comme certes très honorable, mais manquant peut-être un peu d’originalité : médecin, consul, professeur de français… rien que de finalement un peu « banal ». En vérité il n’en est rien. D’abord, parce qu’il faut bien se remettre dans le contexte de l’époque : entreprendre, dans les premières décennies de la seconde moitié du 19ème siècle, un voyage jusqu’à ce lointain Japon et y rester pendant presque 17 ans est tout sauf banal. Mais surtout, il est une anecdote pratiquement inconnue en France et qui fait que Léon DURY est, indirectement, un des « bienfaiteurs » du Japon.
 
En effet, en 1871, alors qu’il enseignait encore à Nagasaki, Léon DURY, qui est donc, à la base, un médecin, donc en particulier sensible à la santé d’un point de vue alimentaire, va faire, un peu par hasard, découvrir à l’un de ses élèves japonais un mode de conservation des aliments encore inconnu au Japon. Cet étudiant japonais s’appelle MATSUDA Masanori ou Gaten (photo de droite). Et ce qu’il va lui montrer, c’est… une boite de conserve ! En effet, s’il est un médecin et non un ingénieur, DURY n’en est pas moins français, et un Français de cette période de la seconde révolution industrielle en France et qui n’hésite pas à en faire la promotion dans ce pays, le Japon, qui commence justement à s’ouvrir au modernisme et à soif d’informations. Et si la boite de conserve trouve ses origines dans les Pays-Bas de la seconde moitié du 18ème siècle, son réel essor s’est fait grâce au Français Nicolas APPERT qui mit au point, en 1804, c’est-à-dire en pleine époque napoléonienne, un nouveau système de stérilisation et donc de conservation auquel il donna son nom, l’appertisation. Totalement séduit, MATSUDA va se plonger dans des essais de fabrication de telles boites de conserves, il y parviendra enfin au bout de deux ans de recherches en créant, pour la première fois dans son pays, une boite de conserve entièrement japonaise (photo de gauche, une des premières boites au début de l’ère Meiji). Et, ça ne s’invente pas, ce sera une boite de… sardines à l’huile! MATSUDA mettra d’ailleurs de long mois pour déterminer la meilleure huile parmi celles dont il dispose à cette époque au Japon (il n’y a pas d’huile d’olive, celle utilisée en France), tant du point de vue du potentiel de conservation que du point de vue gustatif. C’est ainsi qu’il devra renoncer à de nombreuses huiles végétales dont notamment l’huile de sésame. Et finalement, il optera pour l’huile de… camélia !
 
Si ces boites ne sont alors que de conception artisanale, en 1877, le nouveau gouvernement japonais, dans le cadre du volet alimentaire de son plan développement industriel, permet à MATSUDA de construire, à Hokkaidō, la toute première usine industrielle de conserves du Japon (photo de gauche), et les toutes premières boites qui y seront fabriquées seront des boites de saumon (photo de droite). Pour des questions purement techniques, MATSUDA devra renoncer à sa méthode artisanale développée à Nagasaki (qui est donc la ville où se trouve la première usine artisanale) et il devra mettre en œuvre un processus de fabrication de boites utilisant des brevets américains. Mais le procédé général de conservation reste bien d’origine française, celui inspiré par Léon DURY, et que MATSUDA a développé et adapté aux contraintes japonaises du temps où il était à Nagasaki.
 
Et s’il est vrai que, à cette époque et pendant plusieurs dizaines d’années, le grand public japonais dédaignera assez massivement ce mode de conservation – il préfère de loin les produits frais et les modes de conservations plus traditionnels et de plus, les produits en conserves coûtent relativement cher – la boite de conserve connaitra en revanche un vrai et grand succès grâce à l’armée, en entrant dans les rations militaires des soldats durant les principales guerres que livrera le gouvernement Meiji, à savoir les guerres sino puis russo-japonaises. Et les boites de conserves s’imposeront définitivement grâce aux nombreux conflits que le Japon connaitra avec ses « voisins » asiatiques jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
 
Et c’est ainsi que, dans les quelques sites internet qui évoquent l’histoire de la boite de conserve au Japon et considèrent MATSUDA Masanori comme « le père de la conserve japonaise », il est presque systématiquement fait référence à Léon DURY qui en fut l’inspirateur et celui qui lui enseigna les principes de base (techniques et sanitaires) de ce mode de conservation qui, aujourd’hui, fait fureur au Japon grâce à toutes ses déclinaisons, dont notamment les canettes qui alimentent ces distributeurs automatiques, si nombreux dans ce pays, qui font la joie de la population et surtout des touristes étrangers.
 
A noter que, si Léon DURY est a peu près totalement tombé dans l’oubli en France, sauf auprès de quelques habitants de Lambesc peut-être, son nom est réapparu et à suscité l’intérêt de quelques Français au Japon, notamment auprès de Guy de la RUPELLE, un spécialiste en antiquités basé au Japon et qui a récemment retrouvé quelques objets ayant appartenu au consul DURY, dont ce très beau porte-document en photo à gauche dans un assez remarquable état de… conservation! Un objet et quelques autres qui ont aussi suscité le grand intérêt de l’Ambassade de France et qui contribueront peut-être à rappeler, en 2018, à l’occasion des commémorations du 150ème anniversaire de l’ère Meiji, le nom de Léon DURY, médecin, consul, enseignant et… « professeur du père de la conserve au Japon » !
 
 
(C.Y.)