Cet article est le recueil de quelques témoignages, ceux du baron Charles Gustave Martin de CHASSIRON, un diplomate français qui accompagne le baron Jean-Baptiste Louis GROS, le chef de la mission diplomatique qui fut chargé de négocier et de signer le « Traité d’amitié et de commerce entre la France et le Japon ». Ce tout premier traité officiel entre ces deux pays dont 2018 commémore le 160ème anniversaire.
 
Le baron de CHASSIRON (photo de gauche) a laissé un livre  intitulé « Notes sur le Japon, la Chine et l’Inde – 1858 – 1859 – 1860 » et publié en 1861. Dans cet ouvrage, le baron consacre le premier chapitre au Japon qu’il découvrit au coté du baron GROS : « La première ambassade de France au Japon – 1858 ». Et s’il évoque en détail, sous la forme d’un journal quotidien, l’aspect « professionnel » de la mission et le déroulé des négociations, le début de ce chapitre contient un certain nombre d’observations voire d’interprétations qui nous renseignent de façon inégale sur la réalité de ce que fut le Japon de cette époque mais nous donne néanmoins un aperçu plein d’enseignements sur la vision d’un pays et de la mentalité de sa population telles qu’elle fut perçue par un Français : on y trouve autant de témoignages sans doute incontestables que d’erreurs manifestes d’interprétation ainsi que quelques descriptions plutôt savoureuses.
 
Dans « Et si nous parlions « Traité » ? », nous vous avons notamment présenté le contexte, l’environnement global dans lesquels le Traité de 1858 fut négocié et signé. Et dans « Et si nous parlions « Traité » ? (2) », nous avons rapidement abordé le contenu de ce Traité et ses points essentiels. Ce présent article vous propose un troisième angle de vue, celui d’un collaborateur accompagnant le personnage principal que fut le baron GROS, qui offre une autre approche et donc une autre forme de compréhension de ce Traité et surtout de ce que furent, à leurs débuts, les relations franco-japonaises. Voici, sélectionnés par nos soins, quelques extraits de ce livre qui nous ont paru particulièrement soit instructifs, soit savoureux. Nous vous en souhaitant bonne lecture.
 
 
Dès le début de son livre, CHASSIRON nous donne la vision du Japon qui sans doute prédomine dans son esprit :
 
« (…) une société se dérobant, depuis des siècles, à l’œil et au contact de l’étranger »
 
alors qu’on sait que, si le sakoku ou la fermeture du pays fut une réalité, les contacts avec l’étranger, quoique très restreints, n’en demeurèrent pas moins une autre réalité, notamment avec la Chine et les Pays-Bas. Ainsi que, plus anecdotiquement avec la France, notamment quand l’essentiel des territoires des Pays-Bas, sous Napoléon 1er, constituèrent la République Batave, une des « Républiques sœurs » de la France – en réalité, quasi totalement sous sa tutelle. Mais tout ceci n’est pas vraiment évoqué par CHASSIRON.
 
« un système administratif et politique monopolisant tout, les hommes comme les choses, et défendant aux uns comme aux autres, de se livrer aux envoyés de l’Occident, sans être préalablement soumis à l’arbitraire et au contrôle de l’autorité, arbitraire des plus exclusifs, contrôle des plus rigoureux ».
 
De la part d’un shogunat ébranlé par l’arrivée, 5 ans plus tôt, des Américains et la signature forcée de la Convention de Kanagawa, rien d’étonnant à ce que l’organisation déjà très verticale et sans concession de la société japonaise fut encore plus rigoureuse et rigide.
 
 
Une administration et organisation politique dont la description qu’en fait l’auteur traduit bien la relative méconnaissance qu’en a la France et qui, pourtant, influencera toute sa politique vis-à-vis du Japon pendant une grosse dizaine d’année :
 
« l’Empereur ou Taïgoun » écrit CHASSIRON, alors qu’on sait que ce nom de taikun était attribué au shogun et non à l’Empereur. Plus loin, il écrit même :
 
« (…) auprès des deux Empereurs (car il y a deux Empereurs au Japon, l’un spirituel, l’autre temporel) »
 
 
Intéressant et révélateur est aussi ce passage :
 
« Yeddo est une ville immense ; les statistiques de l’Empire, régulièrement établies par le gouvernement japonais, avec cet esprit d’ordre méthodique qui caractérise tous les rouages de son administration, et dont le consul général des États-Unis, à Simoda, M. Towsend Harris, le seul agent européen ayant eu résidence fixe au Japon depuis quatre ans, a pu obtenir communication officielle, constataient l’année dernière, à Yeddo, une population de deux millions cinq cent mille âmes ».
 
Notons pour commencer un détail surprenant : le consul des États-Unis, dont le prénom exact est en fait Townsend, est qualifié d’agent « européen ». Bien approximatif, tout cela, n’est-ce pas ?
Mais surtout, c’est le nombre de la population qui est intéressant. En effet, au Japon, la population de Edo à la fin de l’ère du même nom est encore de nos jours sujette à controverse : certains historiens estiment que celle-ci devait approcher les deux millions d’habitants, alors que d’autres avancent le nombre d’un million cinq cent mille, tandis que d’autres encore évoquent 1 million d’âmes seulement (si l’on peut dire). Une chose semble cependant certaine : l’ordre méthodique dont parle CHASSIRON et que, aujourd’hui encore, nous évoquons si souvent au sujet de pays, ne l’est-il peut-être pas autant qu’on veut bien le dire. Ou s’il l’est, c’est alors la communication « officielle » qui serait sujette à caution. Ce qui paraît aussi bien probable…
 
 
Au détour d’un paragraphe, le baron de CHASSIRON écrit une phrase qui en dit long sur la mentalité japonaise – mais aussi sur sa propre mentalité :
 
« (…) ce qui m’a fait plus d’une fois regretter, à Yeddo, qu’au mode d’éducation politique et aux moyens près, bien entendu, nombre de gens en Europe ne fussent pas venus au Japon pour y apprendre le respect de l’autorité ; car là, il existe réellement, comme nous le prouve tout ce que nous en avons déjà vu ».
 
La façon de penser du baron est-elle particulière ou est-elle représentative d’une mentalité beaucoup plus répandue dans la population française ?
 
 
Suite à une introduction d’ordre général, le baron CHASSIRON entreprend, sous la forme d’un journal, le compte-rendu très détaillé de la mission conduite par le baron GROS. En la ponctuant de diverses considérations ou réflexions personnelles, dont certaines pourront sans doute alimenter les nôtres quant à la comparaison entre les mentalités françaises et japonaises. En voici un exemple :
 
«  (…) dans ses contacts avec d’autres civilisations que la sienne, avec celles de l’Asie spécialement, le tempérament français se montre toujours, en général, trop promptement facile ; qu’il se livre avec trop d’abandon, ou du moins avec une confiance apparente trop grande, avant de bien connaître ces mêmes civilisations ».
 
Rien que ceci mérite sans doute réflexion.
 
 
Une dernière phrase, au hasard, que nous avons relevée :
 
« Le peuple japonais est admirablement doué ; il est ami du progrès ; il le recherche au lieu de le dédaigner par stupide orgueil comme les Chinois ; et déjà, sous le rapport industriel entre autres, il pourrait donner à nos civilisations cependant plus avancées les plus utiles enseignements ».
 
Nous vous invitons, si le temps vous en est donné ou si vous décidez de le prendre, à découvrir l’intégralité de ce livre, disponible sur internet. Ou au moins de son premier chapitre dédié au Japon. Vous pourrez y trouver la « copie officielle » du Traité de 1858 en fin de chapitre. Mais tout au long de ses quelques 160 pages qui la précèdent, on y découvre bien des considérations qui illustrent et même expliquent ce que seront les relations franco-japonaises, depuis la signature de ce fameux traité, il y a 160 ans, jusqu’à nos jours…
 
 
(C.Y.)