L’équilibre délicat entre des édits gouvernementaux restreignant la mission d’évangélisation et la volonté des missionnaires d’augmenter le nombre de convertis au Japon qui régnait depuis 1587 allait bientôt être mis à mal.
 
Le Japon, qui avait été jusqu’à ce jour essentiellement en relation avec les commerçants portugais et les missionnaires jésuites, allait commencer à attirer de plus en plus l’intérêt des commerçants espagnols et des missionnaires franciscains et dominicains, tous déjà bien installés en ce qui est actuellement les Philippines. Déjà un certain nombre de navires espagnols croisaient au large des côtes japonaises pour relier les Philippines au Mexique.
 
Une première rupture de l’équilibre fut amenée par l’arrivée à partir de 1593 de missionnaires franciscains en provenance de Manille (colonie espagnole depuis 1575). Ceci en dépit de l’accord entre le Portugal et l’Espagne (unis en un même royaume sous Philippe II depuis 1580) pour que les missions dans la partie asiatique du monde soit sous le leadership portugais avec les jésuites. Sous l’insistance des jésuites qui ressentaient le fort désir des frères franciscains (alliés aux commerçants espagnols basés à Manille) de venir prêcher sur les territoires lucratifs de Chine et du Japon, une nouvelle bulle papale du Pape Grégoire XIII du 23 janvier 1585, confirmait la prérogative des jésuites sur ce territoire et le roi Philippe II réaffirma de même que cette zone était portugaise. Mais faisant fi de ces différentes interdictions et profitant de l’intérêt de TOYOTOMI Hideyoshi (à droite) de commencer à faire contrepoids aux commerçants portugais en développant une concurrence espagnole pour faire du commerce avec la Chine, de premiers missionnaires franciscains arrivèrent donc sur le territoire japonais à partir de 1593. Malgré les conseils de prudence pour faire « profil bas » promulgués par les jésuites, les franciscains mirent beaucoup de zèle à exposer leur Foi, à construire une église visible et à développer de nombreuses œuvres de charité dans Kyōto. Une telle ostentation de la Foi commençait à redonner des arguments aux Japonais hostiles à la présence grandissante des chrétiens sur leur territoire.
 
Un incident supplémentaire se déroula le 19 octobre 1596 avec le naufrage du San Felipe, galion espagnol richement doté en route entre les Philippines et le Mexique, au large des côtes du Shikoku dans le fief de Tosa. Outre le fait que ce fief était loin d’être favorable aux chrétiens (en fait, l’île de Shikoku n’avait pas encore été évangélisée), les déclarations du chef pilote du bateau, Francisco de OLANDIA, furent d’une telle maladresse qu’elles eurent des conséquences malencontreuses. Il expliqua en effet fièrement la grandeur du royaume d’Espagne et comment, à travers le monde, la venue des commerçants et des missionnaires préfigurait l’arrivée ultérieure des militaires pour occuper les territoires. Peut-être n’a t-il pas été aussi direct que cela dans ses propos, mais le courant « anti-chrétien » auprès de TOYOTOMI Hideyoshi (dont son médecin personnel, un certain SEYAKUIN Hōin, ancien bonze très fortuné et très influent) en profitèrent pour dénoncer encore une fois le danger de laisser trop de place aux chrétiens, pour mettre en évidence que l’édit de 1587 ayant requis l’expulsion des prêtres n’avait pas été respecté et pour exiger des condamnations exemplaires. L’envoyé de Hideyoshi dépêché à Tosa pour juger de la situation sur place, MASUDA Nagamori, lui-même peu favorable aux chrétiens, lui rapporta également que le bateau était chargé d’armes et qu’il avait à son bord des prêtres et des frères.
 
En parallèle, à cette époque, Hideyoshi devait faire face à plusieurs difficultés politiques et économiques. La guerre de Corée s’enlisait, il venait de refuser de prêter allégeance à l’empire des Ming en Chine et une série de tremblements de terre avaient détruit une partie des villes du centre du Japon. De tout ceci résultaient des besoins en ressources financières significatives à court terme et la saisie de la cargaison du San Felipe qui était estimée à plus d’un million et demi de pesos en argent se révélait être une bonne opportunité.
Il n’en fallut donc pas plus au sanguin TOYOTOMI Hideyoshi pour qu’il décide le 7 décembre 1596 de faire un exemple, en conservant toute la cargaison du San Felipe et en demandant l’arrestation et l’exécution des prêtres et des frères encore présents à Kyōto. Dans un courrier au gouverneur des Philippines, Don Francisco TELLO, qui s’était ému de la décision de Hideyoshi, celui-ci se justifia sans concessions en déclarant que les « frères menaçaient de déstabiliser tout l’ordre social national en diffusant une propagande chrétienne subversive. ». Cependant sa sentence concernant les chrétiens impliqués dans l’ordre d’exécution était un peu ambiguë. Il y eut donc un moment de confusion et de jeux d’influence pour savoir quel était le périmètre exact souhaité par Hideyoshi. Une première liste de près de 80 noms fut constituée, incluant jésuites et franciscains, japonais et non-japonais ainsi que prêtres et laïcs. Cette liste incluait entre autres le nom de TAKAYAMA Ukon, qui comme nous l’avons vu dans notre article précédent, avait décidé d’abandonner tous ses pouvoirs et ses fiefs afin de rester fidèle à sa Foi. Cependant, TAKAYAMA Ukon (à gauche) était resté un homme très respecté et malgré son impulsivité, Hideyoshi lui avait gardé sa confiance. De sorte qu’il fut finalement décidé de retirer Ukon de la liste ainsi que la plupart des jésuites qui avaient été inscrits dans un premier temps car, de leur côtés, les seigneurs féodaux proches des jésuites avaient usé de leur influence pour rappeler que les jésuites respectaient au plus près l’édit de 1587 et que l’exécution de missionnaires jésuites pourraient dissuader les navires portugais de continuer à faire commerce avec le Japon. Au final, début janvier 1597, la liste se réduisit ainsi à 26 noms. La plupart étaient des franciscains : 1 prêtre (le père Pierre Baptiste arrivé au Japon en 1593), 5 frères (la plupart espagnols et mexicains) et 17 laïcs japonais proches des franciscains (dont 3 jeunes âgés de 11 à 14 ans). Mais furent également inclus dans la liste 3 japonais proches des jésuites, afin de satisfaire aussi le camp des « anti-chrétiens » plus radicaux dans les cercles proches de Hideyoshi. Il s’agissait de trois jeunes jésuites japonais, Saint Paul MIKI Amakusa, dont nous reparlerons un peu plus loin, et de Saint Jean de GOTO (qui était en études au séminaire) et de Saint Pierre Sukejirō, qui avait voulu aider les chrétiens arrêtés et qui fut fait prisonnier à son tour.
 
Leur chemin vers le martyr commence donc à Kyōto d’où ils partent le 9 janvier 1597. Ils sont montés sur des charrettes avec les mains attachées et défilent en ville pour subir les injures et les quolibets de la population avec, au-devant de leur procession, la pancarte suivante, indiquant le motif de leur arrestation tel que rédigé par TOYOTOMI Hideyoshi :
« Ces hommes sont arrêtés pour être venus des Philippines sous le titre d’Ambassadeurs et pour avoir depuis résidé à Kyōto afin de prêcher la Foi des chrétiens que j’avais précédemment interdite. J’ordonne qu’ils soient exécutés à mort ensemble, avec les Japonais qui se sont faits chrétiens, et qu’ils soient crucifiés à Nagasaki.
De plus j’interdis cette Foi dorénavant, et veux que chacun comprenne ce commandement et cette interdiction ferme et complète, et qu’ainsi, si quelqu’un s’aventure à y contrevenir, il en soit puni exemplairement avec toute sa famille. »
Il avait également été demandé qu’on leur « coupe le nez et les oreilles » (en fait, « seule » une partie de l’oreille de chacun sera coupée). S’en suit une longue marche d’environ un mois pour atteindre Nagasaki au milieu des rigueurs de l’hiver japonais.
Cependant, démontrant tous allégresse, patience et humilité tout au long du chemin, ils faisaient l’admiration des gens sur leur passage, y compris de certains bonzes.
Tout au long de ce voyage, Saint Paul MIKI (à droite), qui était à quelques mois de finir sa formation au séminaire et de faire partie des premiers Japonais à être ordonnés prêtres, n’eut de cesse de professer la Foi et de convertir les cœurs des personnes croisées grâce à ses talents de prédicateur.
 
Arrivés à Nagasaki le 4 février 1597, le gouverneur de la ville fit rapidement procéder à leur exécution, craignant une agitation trop grande dans la ville qui comptait de nombreux chrétiens. C’est ainsi que sur la colline de Nishizaka (qui fut finalement préférée au site habituel des condamnés à mort afin d’avoir un espace suffisant pour les 26 condamnés) 26 croix furent dressées au petit matin du 5 février 1597 avec un condamné attaché par des cordes sur chacune d’elles. Après quelques instants animés par des derniers chants de louanges au Seigneur et des dernières prières, les bourreaux sortirent deux grandes lances et transpercèrent le cœur de chacun des condamnés un à un. Malgré les gardes présents pour repousser la foule, les habitants de Nagasaki se précipitèrent pour prélever des morceaux de vêtements ou des gouttes de sang versées par ces martyrs. Une partie de ces reliques est actuellement visible à l’église Saint Philippe de Nagasaki qui fait mémoire de ces 26 martyrs (en couverture, le monument des 26 martyrs à Nagasaki, à droite, le monument avec le nom en japonais de chaque martyr).
 
Avant de mourir Saint Paul MIKI adressa une dernière prière exhortant les Japonais à se convertir et pardonnant à ses bourreaux. On a une description assez précise de cet événement dans le texte rédigé par le père jésuite Luis FROÏS qui était à Nagasaki avec le père Joan RODRIGUEZ au moment des faits. Parmi les moments édifiants de ce martyr, on peut également citer la lettre adressée à sa maman par le jeune Saint Thomas KOZAKI, âgé de 14 ans, quelques jours avant sa mort, avec le passage suivant « N’aie pas peur car nous serons bientôt réunis au Paradis. (…) Quelles que soient les épreuves que les hommes te feront endurer, conserve une grande charité envers eux. (…) Montre une grande pénitence envers tes péchés car seul cela compte ».
Ainsi s’achève le premier martyr collectif chrétien du Japon (ces 26 martyrs seront canonisés le 8 juin 1862 par le pape Pie IX), qui ne sera que le début d’une longue série qui se prolongera dans les années et les siècles suivants.
L’ordre de TOYOTOMI Hideyoshi incluant également l’interdiction de convertir les Japonais à la Foi chrétienne, un certain nombre de fiefs commencèrent localement des répressions anti-chrétiennes, poussant à l’apostasie et à la confiscation des biens, dans les fiefs de Hakata et Hirado par exemple.
Il s’en suivit également la destruction d’environ 120 églises (sur un total de plusieurs centaines à l’époque) et le départ de 11 jésuites (sur 125) du pays.
 
Mais l’histoire n’allait pas s’arrêter là puisqu’en 1598, Hideyoshi décédait et progressivement TOKUGAWA Ieyasu prit le pouvoir et le titre de shōgun.
Beaucoup plus proche des bouddhistes que ne l’avait pu être ODA Nobunaga et TOYOTOMI Hideyoshi, qui tous les deux se méfiaient fortement de l’influence des différentes sectes bouddhistes sur le pouvoir, Ieyasu eut cependant une attitude neutre vis-à-vis des chrétiens dans un premier temps. Avec toutes les restrictions et limitations déjà mises en place à partir de 1587 pour se faire les plus discrets possibles, les jésuites continuèrent donc l’évangélisation du Japon, et il est rapporté que, de 300.000 chrétiens en 1597, l’archipel en comptait environ 400.000 en 1614.
 
Cependant un nouveau fait historique vint de nouveau perturber le jeu. En Europe, le royaume ibérique commençait à perdre de sa superbe et les navigateurs portugais et espagnols n’étaient plus en mesure de contrôler les océans comme ils l’avaient fait au 16ème siècle. Les Anglais et encore plus les Hollandais commencèrent donc à s’aventurer jusqu’en extrême orient et purent représenter une alternative commerciale pour les Japonais.
TOKUGAWA Ieyasu (à droite), comprenant qu’il n’était plus aussi dépendant des navires portugais et espagnols, considéra alors que c’était le bon moment pour donner un coup d’arrêt définitif et sans appel aux chrétiens catholiques (par opposition aux Anglais et Hollandais protestants).
En parallèle, en 1609, une escroquerie impliquant plusieurs chrétiens agaça passablement le shōgun, qui se décida à partir de 1612 à promulguer une série d’édits anti-chrétiens :
– 1612 : interdiction de pratique religieuse et de diffusion de la Foi chrétienne à Edo et Kyōto
– 1613 : extension de l’interdiction de 1612 à l’ensemble du territoire japonais
– 1614 : expulsion de tous les chrétiens.
Ce dernier édit fut dès lors appliqué avec un zèle et une détermination sans appel dans un Japon à présent pratiquement unifié et donc soumis au shōgun TOKUGAWA. Cet édit marquera aussi le début de ce que l’on appelle la période de fermeture (relative) du Japon (sakoku) puisque le seul port officiel qui restera ouvert pour le commerce avec l’étranger à partir de 1639 et jusqu’au milieu du 19ème siècle sera celui de Dejima, au large de Nagasaki, pour accueillir les navires hollandais exclusivement.
 
Afin de s’assurer la suppression de la Foi chrétienne du Japon, une police répressive et systématique est mise en place. Dans un premier temps il est laissé le choix entre l’exil ou l’apostasie. C’est ainsi qu’un certain nombre de chrétiens japonais partiront en exil vers Manille ou Macao principalement, amassés sur des navires de piètre qualité dont un certain nombre sombreront en mer. On peut noter que TAKAYAMA Ukon,ce grand seigneur féodal qui avait préféré renoncer à tous ses biens plutôt que d’apostasier en 1587, embarqua en direction de Manille avec sa famille. Il y sera accueilli en héros par le gouverneur de la ville le 21 décembre 1614, mais usé par les épreuves et la rudesse des 44 jours de traversée en bateau, il mourra quelques semaines plus tard, le 4 février 1615.
Une fois cette première phase d’exil passée, il ne restait plus aux Japonais chrétiens restés sur place que deux solutions : l’apostasie ou le martyr (le plus souvent au début par décapitation au sabre). Se rendant compte que les chrétiens étaient prompts à choisir le martyr dans l’espérance du Paradis céleste, les autorités japonaises décidèrent de développer des méthodes de tortures de plus en plus sophistiquées (comme on peut le voir dans le film « Silence » de Martin SCORCESE sorti en 2017) afin de pousser à l’apostasie, qui avait un effet beaucoup plus dévastateur pour le moral des communautés chrétiennes. Le célèbre tortionnaire INOUE Masashige a laissé un document à l’usage de ses successeurs, détaillant les meilleurs « pratiques » pour obtenir l’apostasie. C’est ainsi que des tortures par noyade, ébouillantement, immolation à petit feu, plongeon la tête en bas dans des fosses asphyxiantes, etc… se développèrent. Il peut sembler difficile de comprendre ce qui pouvait pousser ces chrétiens japonais somme toute convertis récemment à la Foi (rappelons que les premiers pas de Saint François Xavier au Japon en 1549 dataient de quelques dizaines d’années seulement). Il faut croire que le travail d’évangélisation, effectué par les différents missionnaires expliquant que la vraie image de Dieu est l’amour de tous, y compris de ses ennemis, et que chacun est aimé d’un amour personnel et miséricordieux de Dieu qui ouvrira avec joie les portes du paradis après la mort, avait trouvé un écho fertile dans la spiritualité d’un certain nombre de Japonais. Certes, certains apostasièrent, dont le père FERREIRA en octobre 1633, rendu célèbre par le livre puis le film « Silence », mais la plupart d’entre eux s’imposaient ensuite des mortifications pour implorer le pardon pour leur apostat.
 
Pour déceler les chrétiens, différentes pratiques furent également mises en place. Tout d’abord le fumie, qui consistait à demander à toute personne soupçonnée d’être chrétienne de fouler au pied une image pieuse (du Christ ou de la Vierge Marie en général) comme signe d’apostasie (à gauche). Ceux qui refusaient s’exposaient immédiatement au martyr. Une autre pratique mise en place était la coresponsabilité entre plusieurs maisons. A savoir que si une personne d’une maison était découverte comme chrétienne, c’était l’ensemble des membres de toutes ces maisons déclarées comme coresponsables qui devaient subir la torture. Enfin, tous les Japonais devaient également se déclarer comme faisant partie d’un temple bouddhiste et participer aux principaux rites bouddhistes, faute de quoi ils étaient immédiatement susceptibles d’être dénoncés comme potentiellement chrétiens. Il va évidemment sans dire qu’il y avait des récompenses financières pour toute dénonciation de chrétiens avec trois niveaux : très élevées pour la dénonciation de prêtres, moyennement élevées pour la dénonciation de religieux et basiques pour la dénonciation de tout autre chrétien.
Avec toutes ces mesures mises en place, en petit nombre ou en grand nombre, les martyrs continuèrent à s’accumuler à travers le Japon au fil des années.
 
On peut ainsi signaler les grands martyrs de Kyōto en 1619, où 52 personnes furent brûlées vives (dont Tecla HASHIMOTO entourée de ses enfants de 3, 5, 6, 8, 12 et 13 ans, en les encourageant jusqu’au bout à endurer les douleurs provoquées par les flammes), et de Nagasaki le 20 septembre 1622 où 55 personnes furent exécutées (brûlés vives ou décapitées). En 1657-1658, environ 600 villageois de Kori près de Nagasaki, soupçonnés d’être chrétiens, seront arrêtés et 500 d’entre eux mourront sous la torture ou en prison. Et il en sera de même dans plusieurs autres village à travers le Japon jusque dans les années 1670.
En parallèle, les différents prêtres qui se cachaient ou qui arrivaient clandestinement au Japon furent un à un arrêtés et exécutés. A titre d’exemple, on peut signaler NAKAURA Julian, un des 4 jeunes ayant fait partie de la mission en Europe montée par Alessandro VALIGNANO entre 1582 et 1590 et qui parviendra à rester caché jusqu’en 1633 où il fut finalement arrêté pour mourir en martyr le 21 octobre 1633. Il y a aussi le très romanesque Saint Pierre KIBE (à droite) qui, parti en exil en 1615 alors qu’il n’était que séminariste, décida de son propre chef d’aller jusqu’à Jérusalem puis à Rome en bateau puis à pied, parcourant des milliers de kilomètres pour compléter sa formation et devenir prêtre avant de revenir clandestinement au Japon en 1630 pour soutenir les chrétiens cachés. Il fut finalement arrêté en 1638 et mourra en martyr le 4 juillet 1639. Il sera béatifié par le pape Benoît XVI le 24 novembre 2008 avec 187 autres martyrs japonais. On peut aussi mentionner ici le père dominicain Saint Guillaume COURTET, né à Sérignan dans l’Hérault en 1590, et qui se sentira appelé à aller aider les chrétiens du Japon. Il y arriva finalement en juillet 1636, mais fut rapidement arrêté et mourut en martyr le 29 septembre 1637, décapité après avoir résisté pendant deux semaines à de multiples tortures sans apostasier, rejoignant ainsi une quinzaine de dominicains morts en martyrs sur la colline de Nishizaka à Nagasaki entre 1633 et 1637.
 
Un dernier événement marquant de l’époque est la chute de Shimabara. Ville située sur le fief féodal d’Arima dont le seigneur fut le dernier de tout le Japon à conserver la Foi catholique, l’ensemble des habitants se souleva contre le pouvoir central qui leur imposait un niveau d’impôts insoutenable. Après un long siège soutenu courageusement par la population dans le château de Shimabara, les forces du shōgun écrasèrent finalement cette rébellion le 12 avril 1638 et exécutèrent les quelque trente-sept mille personnes encore vivantes après plus de quatre mois de siège.
 
Au cours de cette répression sans pitié, combien le Japon a-t-il finalement compté de martyrs chrétiens ? Selon les sources disponibles à ce jour, on cite plusieurs milliers (si on ne prend pas en compte le massacre de Shimabara et que l’on se concentre sur la période 1614 – 1650) à plusieurs dizaines de milliers (si on inclut les victimes de Shimabara et que l’on considère une plus longue période). C’est en fait difficile à déterminer car les comptes n’ont pas été tenus de manière précise et les autorités de l’époque prenaient un maximum de soins pour qu’il n’y ait pas de traces ou de reliques, brûlant tout et dispersant les cendres dans la mer. Les principales sources d’origine sur lesquelles se basent les historiens sont certains documents japonais tels le Kirishito-ki et des documents de voyages de commerçants portugais et hollandais en particulier. Les quelque 10.000 documents japonais de l’époque retrouvés en 2010, stockés dans les bibliothèques du Vatican et encore en cours d’analyse par différents professeurs et historiens, devraient nous permettre d’avoir un éclairage supplémentaire sur cette période.
 
Les trois premiers shōgun de la lignée TOKUGAWA (Ieyasu, Hidetada et Iemitsu) se sont méticuleusement appliqués à vraiment faire en sorte qu’il n’y ait en apparence plus un seul chrétien vivant au Japon. On compte bien encore l’arrivée de cinq prêtres jésuites arrivés clandestinement dans ce pays en 1643, qui furent emprisonnés à vie à Edo (Tōkyō à présent) dans ce qui sera connu comme l’enclos des chrétiens (kirishitan yashiki) et dont le dernier mourra en 1685, comme le missionnaire italien Abbate SIDOTTI (à gauche) arrivé en 1708. Lui aussi emprisonné dans la kirishitan yashiki où il mourra en 1714. Mais globalement pour le gouvernement shogunal ce ne furent plus que des épiphénomènes et il fut en droit de penser qu’à l’aube du 18ème siècle, il ne restait plus un seul chrétien sur son territoire.
 
Et pourtant, tout un réseau de chrétiens clandestins (appelés aussi chrétiens cachés) s’était organisé, en particulier dans la région de Nagasaki et des îles Gotō, dès le début des persécutions.
Sans prêtre, ces communautés s’étaient organisées de la manière suivante afin de pouvoir vivre et transmettre leur Foi. Une personne était chargée d’effectuer les baptêmes, une autre était chargée de mémoriser les prières (car il fallait éviter au maximum d’avoir des documents écrits) et de les transmettre aux générations suivantes et une dernière était chargée de reconstituer le calendrier liturgique d’année en année afin de pouvoir célébrer les fêtes principales (Noël, Pâques, Pentecôte, …). Même si les modes de fonctionnement différaient un peu d’une communauté à l’autre au d’un village à l’autre, les grands principes restaient globalement les mêmes. Différents stratagèmes permettaient également de dissimuler certaines images ou statues pieuses en les faisant passer pour des objets du culte bouddhiste avec par exemple des représentations de la Vierge Marie en divinité Kannon (les Maria Kannon, exemple à droite).
 
C’est ainsi que de générations en générations, pendant près de 250 ans, la Foi catholique put persister dans l’Espérance du retour un jour des prêtres et de la liberté religieuse, en dépit des répressions et de la menace permanente d’être démasqué. Comme nous l’avons relaté dans le premier article de cette série, cette Espérance ne sera pas vaine et deviendra réalité, non sans quelques derniers soubresauts, dans les premières années de l’ère Meiji.
 
 
 
(B.J.)